Le Roi amoureux
venus des coteaux de Bourgogne, et pourtant… qui sait… ah ! qui sait si je ne leur préférerais pas la rangée des vins blancs venus du Saumurais, laquelle se trouve dans le premier réduit ? »
Ayant dit, il jeta un regard de sombre dégoût sur la cruche, puis loucha tristement sur le bout de son nez.
– Il est certain que je mérite la mort si j’ai pratiqué la polygamie. Telle est la coutume. Au bout de toute polygamie se trouve un juge qui condamne, un bourreau qui vous pend. Et, pourtant, si j’arrivais, par quelque subtil raisonnement, à démontrer que la polygamie n’est point si blâmable ?
Corentin se leva et se mit à arpenter son cachot.
– Tout est là ! dit-il. Pourquoi voulez-vous me pendre ? Parce que j’ai pratiqué la polygamie. Fort bien, messeigneurs. Mais si je prouve que la polygamie est un état des plus honorables ? Que reprochez-vous à la polygamie ? Je voudrais bien le savoir. Loin de me conduire au gibet, ne devriez-vous pas me décerner quelque récompense ? Je n’en veux pas, seigneur juge. Non, je ne demande rien. Tout ce que je désire en récompense de ma polygamie, c’est que vous me fassiez ouvrir cette porte, et me fassiez tout bonnement reconduire à la Devinière. Que dis-je ? Je n’ai même pas besoin d’être conduit, j’irai tout seul, en connaissant fort bien le chemin.
Jacquemin Corentin s’inclina profondément devant les juges qu’évoquait son imagination, esquissa un large sourire de satisfaction, et, comme s’il les eût convaincus, se dirigea vers la porte…
Miracle ! cette porte s’ouvrit dans le même instant !…
Dans le sombre couloir qu’éclairait la vacillante lueur d’une torche, apparurent quatre gardes munis de hallebardes, affublés de ces figures sinistres que, dans les siècles des siècles, ont toujours eues les hommes qui ont charge de guider d’autres hommes vers la mort…
– En route ! dit le chef. Allons, l’ami, viens entendre la sentence.
Jacquemin Corentin passa sa main sur son front brûlant. Le pauvre diable commençait à se dégriser de cette enivrante imagination de liberté qu’il s’était forgée.
– Quelle sentence ? balbutia-t-il.
L’infortuné n’en put dire davantage. Il fut saisi, happé, empoigné, poussé, et, parmi les grognements de fureur, moyennant force bourrades, coups de genou dans les reins, coups de poing dans le dos, se trouva tout porté en une salle assez vaste, au fond de laquelle étaient assis, derrière une table, plusieurs hommes à costume noir… À l’autre bout, derrière une barrière de bois, une douzaine de désœuvrés se tenaient debout, entrés là pour passer le temps.
C’était la quatrième fois que Jacquemin Corentin comparaissait devant ses juges. Cette fois-ci était la bonne, paraît-il, puisqu’il s’agissait de lui lire sa sentence. Il fut poussé devant la table et les quatre gardes s’immobilisèrent derrière lui.
Jacquemin leva les yeux, considéra les hommes à costume noir et reconnut ses juges. Ils le regardaient fixement, gravement. Peut-être crut-il deviner sur ces visages quelque lueur de pitié. Il les vit se pencher l’un vers l’autre, en chuchotant… il les vit sourire !
Et il s’inclina avec une respectueuse salutation.
– Silence ! glapit un homme noir assis à une autre table plus petite, et qui se leva tout droit, puis se rassit.
En même temps, Corentin reçut de l’un des gardes un fort coup de poing dans les épaules.
– Mais je me tais ! dit Corentin.
– Silence ! répéta l’huissier qui, de nouveau, surgit, puis se tassa derrière sa petite table.
– Parlez ! dit l’official.
Corentin loucha vers l’huissier qui dardait vers lui des regards de chat en colère, et il se tut : simple mesure de prudence.
– Alors, dit l’official, vous refusez de parler ?
– Monseigneur, balbutia Corentin, je désire au contraire parler tout mon soûl.
– Eh bien, nous écoutons, car tout accusé a le droit de se défendre à l’heure où la sentence va lui être lue. Qu’avez-vous à dire au sujet de votre polygamie ?
D’une voix claire et forte, Jacquemin soudain inspiré, s’écria :
– J’ai à dire que je n’ai point pratiqué la polygamie !
– Là n’est pas la question, dit l’official avec quelque indulgence. La preuve est faite que vous avez contracté deux mariages : l’un à Grenade, dans les Espagnes, l’autre en cette ville même.
– Mais,
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