Le roi d'août
nuque.
— Tu es à moi, maudit mécréant ! gronda-t-il. Tous les trésors de l'Empire ne suffiront pas à payer ta rançon…
Puis il sentit son cheval s'écrouler sous lui, lâcha prise et exécuta un fantastique vol plané par-dessus l'encolure de l'animal. L'homme qu'il avait cru tuer l'instant d'avant s'était accroché à sa selle et, quoique blessé à mort, avait planté un poignard dans le ventre du destrier – lequel s'était vengé en l'écrasant sous son poids.
Guillaume, le souffle coupé, tout le corps endolori, fut vite entouré d'adversaires qu'il parvint tout juste à tenir en respect par des moulinets de son épée. Il eût succombé sous le nombre si un groupe de chevaliers français n'était arrivé à point nommé pour disperser l'ennemi.
L'empereur, lui, galopait sans se retourner. Il s'était vu à deux doigts d'être capturé, voire tué, et avait connu assez d'émotions pour la journée. À la grande honte de ses vassaux, il détala plus vite que ne l'avait jamais fait Jean sans Terre.
— Nous ne verrons plus sa figure aujourd'hui, ricana Philippe, qui assistait de loin à la fuite éperdue de son plus puissant ennemi, frustré de n'avoir pu l'approcher.
La chevalerie impériale continuait de se battre, mais son âme venait de lui être arrachée. Lentement, l'idée qu'ils allaient perdre cette bataille pourtant gagnée d'avance s'infiltrait dans l'esprit des seigneurs de Saxe ou de Brabant. Avaient-ils donc fait tout ce chemin pour subir une défaite ? À partir de là, ce fut la fierté plus que l'espoir qui anima leur bras – en attendant l'énergie du désespoir.
La mêlée se poursuivit durant tout l'après-midi. Les lignes de troupes bien marquées du début avaient disparu, cédant la place à des échauffourées chaotiques – du combat singulier au massacre en règle, en passant par tous les types d'empoignade imaginables. Partout, des hommes mouraient, des chevaux mouraient, égorgés, éventrés, les membres tranchés, perdant leur sang et leurs entrailles sur un sol où, par endroits, on pataugeait dans la boue. Le soleil qui brillait toujours dans un ciel sans nuage intensifiait l'odeur écœurante des cadavres – un parfum de mort qui se mêlait sous les heaumes à celui de la transpiration pour suffoquer les chevaliers. L'air retentissait du hennissement furieux des montures, du cri des blessés que nul ne prenait le temps d'achever.
La mêlée se poursuivit durant tout l'après-midi, et ce fut une abomination.
Enfin, les uns après les autres, les points de résistance que présentaient encore les coalisés cédèrent.
Après la capture de Guillaume Longue-Épée, les troupes de l'évêque et du comte de Dreux avaient eu beau jeu de dégager les massiers et de contenir les assauts anglais. Au bout du compte, la plupart des mercenaires s'étaient enfuis – ainsi que, confirmant la prédiction de Renaud, cet Hugues de Boves qui l'avait soupçonné de traîtrise.
Sur l'aile droite, la vaillance des Champenois et des Bourguignons fut récompensée lorsque la chevalerie flamande avoua enfin son infériorité et se rendit. Ferrand lui-même, épuisé, découragé par la fuite de l'empereur, remit ses armes aux Français, la tête basse. Au centre, les quatre nobles qui entouraient Otton durant la bataille furent faits prisonniers. Partout, on voyait des Impériaux se rendre ou s'enfuir. On démolissait à coups de hache le char qui portait leur bannière. Quelques escadrons de fantassins, ici et là, en constatant la déroute de leurs chefs, se laissaient massacrer plutôt que de cesser le combat…
Il n'y avait plus d'armée impériale.
Il n'y avait plus d'armée flamande.
Il n'y avait plus d'armée anglaise.
Ou plutôt, de l'armée anglaise, il ne demeurait qu'une fraction, commandée par un Renaud de Dammartin qui se sentait bien seul. Sa technique de combat lui avait épargné bien plus de pertes qu'à ses alliés. Il les injuriait en lui-même, voire tout haut : l'eût-on seulement écouté, lui eût-on seulement confié le commandement suprême en dépit de la préséance, que le sort des armes eût été différent.
Restait à se battre dignement jusqu'au bout : Renaud eût pu s'enfuir comme les autres, comme Hugues de Boves, mais cette pensée ne l'effleura pas.
Un regard circulaire lui révéla la position de Philippe, dont la bannière se dressait fièrement à cent toises de lui.
— Place ! hurla-t-il en jetant son cheval
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