Le roi d'août
valu une victoire : contesté, acculé à se soumettre ou à être déposé, il dut accepter la charte limitant ses pouvoirs qu'avaient édictée ses barons. Alors qu'Henri II avait été l'archétype du monarque absolu, lui posait les bases de la monarchie constitutionnelle. En deux générations, les Plantagenêts avaient parcouru l'ensemble du spectre.
Otton, après s'être échappé du champ de bataille, galopa jusqu'à Valenciennes. Les restes de sa bannière furent envoyés en présent à l'autre empereur, Frédéric II, qui n'eut dès lors aucun mal à asseoir son autorité sur l'ensemble du territoire. Otton, humilié, abandonné de tous, se réfugia dans sa principauté de Brunswick pour y attendre la mort – qui vint l'y prendre quatre ans plus tard.
Pour les deux autres, ce fut la prison.
À tous ceux qui l'avaient combattu, y compris aux vassaux qui l'avaient trahi, Philippe fit grâce – sauf à Ferrand et à Renaud. Tous les nobles seigneurs capturés à Bouvines, plusieurs dizaines, dont cinq comtes, furent échangés contre des prisonniers français ou remis en liberté contre rançon – tous, sauf Ferrand et Renaud.
Puisqu'il avait exigé Paris quand les coalisés s'étaient partagé d'avance la dépouille du roi, Ferrand fut enfermé à la tour du Louvre. Il y passa treize ans. Lorsqu'il en fut enfin libéré – par un autre roi –, sous la promesse de ne fortifier aucune place-forte de son comté, c'était un homme malade, l'ombre de lui-même. Il ne devait survivre que six ans de plus.
Quant à Renaud de Dammartin…
— Tu m'as trahi une fois de trop, lui déclara Philippe le lendemain de la victoire, dans la prison où il l'avait relégué. Je t'avais prévenu que je ne te pardonnerais plus.
— Je sais. J'aurais pu gagner. Je n'aurais pas pardonné non plus.
Le comte de Boulogne faisait peine à voir. Il avait, en vingt-quatre heures, vieilli de quinze ans. Grand, robuste toujours, il se tenait les épaules voûtées, les membres raides, la mine plus sombre qu'une nuit sans lune.
— Que t'ai-je fait, Renaud ? interrogea le roi sans colère. Pourquoi t'es-tu tourné contre moi ? Je t'aimais, autrefois. (Il soupira.) Je t'aime toujours, je crois.
— Mais moi aussi ! cria le comte en relevant brutalement la tête, les yeux agrandis. Seulement je te déteste, en même temps. Tu comprends ? Moi, je ne comprends pas, (Il resta muet un instant puis eut un sourire triste ; ses joues barbues portaient la trace, entrelacs rougeâtre, des coups de poignards.) En fait, j'ai été ton Judas. Sauf que c'est moi qui suis crucifié… Tu as toujours eu toute la chance de ton côté.
— Judas s'est pendu, remarqua Philippe.
Puis il tourna les talons et alla rejoindre Isambour.
Renaud se pendit, en effet, mais pas tout de suite. Longtemps, très longtemps, il refusa de croire que le roi ne reviendrait pas sur sa parole, ne lui ferait pas grâce une fois encore. Et quand le roi mourut, il crut que Louis annulerait sa peine – mais les années continuèrent de filer sans qu'il vît rien venir. Ce fut en apprenant la libération de Ferrand qu'il comprit : il était bel et bien oublié.
L'oubli, un nœud coulant le lui apporta pour de bon.
Après Bouvines, Philippe régna encore neuf ans au côté d'Isambour, neuf ans que vint juste assombrir leur incapacité à avoir un enfant. Ils étaient partis de si loin, cependant, qu'ils supposaient ne pas pouvoir trop en demander à Dieu.
Jamais ils ne revirent Lysamour ni le roi du peuple. Sans doute plus aucun Capétien ne les verrait-il. Fort de cette conviction, d'ailleurs, Philippe n'avait pas jugé utile d'avertir ses enfants de leurs origines. Le pouvoir allait s'amenuisant : ils n'en auraient pas besoin pour régner. Et si l'un de ses descendants, un beau jour, épousait une fille des pierres ou des rivières, peut-être aurait-il la sagesse de ne pas en avoir peur…
Puis le roi mourut, léguant à son fils Louis un royaume raisonnablement unifié, pacifié.
Isambour lui survécut treize années, retirée dans son douaire d'Orléans qu'elle ne quittait plus guère.
Du moins le croyait-on.
QUELQUES REMERCIEMENTS
EN GUISE DE MOTS DE LA FIN
Le livre que vous venez de lire est œuvre de romancier et non d'historien, aussi n'y cherchera-t-on pas une vérité somme toute hypothétique. J'ai cependant tenté en l'écrivant de rester autant que possible fidèle à l'histoire de Philippe Auguste telle que nous la connaissons
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