Le roi d'août
avançait en ordre trop serré, se privant de liberté de manœuvre. L'attaque de Saint-Pol le prit de court, si bien que le comte et ses compagnons traversèrent littéralement la ligne impériale en y causant de grands ravages. Ils purent se reformer et charger derechef avant que leurs adversaires eussent repris leur souffle.
Devant l'efficacité de cette tactique inédite, le duc de Bourgogne et les autres barons engagèrent leurs troupes à la reproduire, si bien que très vite, l'avantage du nombre annulé, les Flamands ne surent plus où donner de la tête. À tout le moins eurent-ils la satisfaction de se faire rompre les os par des guerriers bien nés.
À l'autre bout du champ de bataille, Renaud de Dammartin s'était lui aussi laissé détourner de son vœu : coiffé de son heaume aux fanons de baleine, il avait d'abord voulu courir sus à Philippe, mais n'avait pu résister à la tentation d'attaquer Robert de Dreux lorsqu'il en avait aperçu la bannière. Ce jour-là était celui où devaient se régler tous les comptes : plus tard, il serait trop tard.
Renaud adoptait lui aussi une tactique originale : ayant formé son infanterie en un anneau de piques hérissées, infranchissable par la cavalerie ennemie, il venait se réfugier en son sein avec ses chevaliers chaque fois qu'ils rompaient le combat. Cela leur permettait de reprendre haleine et de surveiller les alentours afin de préparer leur sortie suivante. La technique, d'une terrible efficacité, n'avait cependant pas la faveur des autres capitaines coalisés, qui l'estimaient peu chevaleresque, indigne d'eux, et continuaient de se battre comme ils en avaient l'habitude – un jeu auquel ils n'étaient ni plus ni moins habiles que leurs adversaires.
Bientôt, ce fut ici aussi une mêlée quasi générale.
Au centre, l'infanterie impériale s'était mise en marche, formée en fer de lance. Routiers germains et miliciens flamands eurent dès l'abord l'avantage sur des milices communales françaises hors d'haleine. Mieux entraînés, plus disciplinés, les impériaux enfoncèrent sans mal le front trop meuble qu'on leur opposait et le sectionnèrent par le milieu.
Là, il n'était guère question d'assommer poliment les gens en leur martelant le heaume à coups de masse. Là, on n'avait pas de heaume, les masses étaient rares. On se battait avec des piques, des poignards, les lames tranchaient les gorges découvertes, se plantaient dans les chairs que, bien souvent, ne protégeait pas même une broigne. Là, le sang coulait à gros bouillons pour changer la poussière du champ en une boue brun sale.
Juste derrière le coin inexorable qu'enfonçait sa piétaille dans les lignes françaises, arrivait l'empereur, entouré des quatre grands seigneurs qui défendaient sa personne. Leur intention n'échappa pas aux chevaliers de la maison royale qui, Guillaume des Barres en tête, entreprirent de contourner l'infanterie germanique pour en attaquer le chef.
Le Capétien, de son côté, ne voyait qu'Otton de Brunswick, dont la bannière orgueilleuse et le heaume doré paraissaient le narguer. Sans se rendre compte qu'il n'avait plus autour de lui qu'une poignée de chevaliers, il se jeta en avant, l'épée au clair. Il avait toujours préféré manier la masse, mais en ce jour, il jugeait que l'épée, le symbole remis lors du couronnement, s'imposait. Guérin avait su le convaincre que l'image d'un roi était essentielle au maintien de son pouvoir.
Les milices communales se battaient encore avec courage mais elles étaient vaincues, effilochées, elles ne protégeaient plus rien ni personne : quand Philippe s'élança à la rencontre d'Otton, il plongea en plein cœur de l'infanterie ennemie, au milieu d'une forêt de piques et de crochets qui cherchaient à l'atteindre. Son épée fendit un crâne à gauche, trancha un bras à droite. Ajoutant ses propres hurlements de rage à ceux de haine ou de douleur qui retentissaient à ses oreilles, il ne songeait pas qu'il pouvait être abattu par ces combattants chez qui la férocité remplaçait la noblesse : il ne songeait qu'à affronter l'empereur d'homme à homme, à le vaincre loyalement en combat singulier. S'il se montrait meilleur chevalier que lui, on l'estimerait aussi meilleur souverain.
Sur l'aile droite, le gros Eudes de Bourgogne, durant une de ses charges, eut son cheval tué sous lui. Empêtré dans son haubert, il roula à terre et ne s'en fut jamais relevé si les chevaliers de
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