Le Roi de fer
avez-vous d’autres
désirs ? dit frère Renaud.
Hugues de Bouville replantait sur un
candélabre un cierge qui menaçait de s’effondrer.
— Pourquoi fait-il si
sombre ? demanda le roi. Est-ce encore la nuit, et le jour ne s’est-il
point levé ?
Bien qu’on fût au milieu de la
journée, une obscurité rapide, anormale, angoissante, enveloppait le château.
L’éclipse annoncée était en cours et, maintenant totale, couvrait de son ombre
le royaume de France.
— Je rends à ma fille Isabelle,
dit brusquement le roi, la bague dont elle me fit présent et qui porte le gros
rubis qu’on nomme la Cerise.
Il s’interrompit un instant, puis
demanda une nouvelle fois :
— Pierre de Latille est-il
arrivé ?
Comme personne ne répondait, il ajouta :
— Je lui donne ma belle
émeraude.
Il continua en léguant à diverses
églises, à Notre-Dame de Boulogne, parce que sa fille s’y était mariée, à
Saint-Martin de Tours, à Saint-Denis, des fleurs de lis d’or, « d’un prix
de mille livres », précisa-t-il pour chacune.
Frère Renaud se pencha et lui dit à
l’oreille :
— Sire, n’oubliez point notre
prieuré de Poissy.
Sur le visage effondré de Philippe
le Bel, on vit passer une expression d’agacement.
— Frère Renaud, dit-il, je
donne à votre couvent la belle bible que j’ai annotée de ma main. Elle vous
sera bien utile, à vous et à tous les confesseurs des rois de France.
Le grand inquisiteur, bien qu’il
attendît davantage, sut cacher son dépit.
— À vos sœurs de saint
Dominique, à Poissy, je lègue la grande croix des Templiers. Et mon cœur aussi
y sera porté.
Le roi avait terminé la liste de ses
dons. Maillard relut à haute voix le codicille. Quand il arriva aux derniers
mots : « de par le roi », Valois attirant à lui l’héritier du
trône et lui serrant fermement le bras, dit :
— Ajoutez : « et du
consentement du roi de Navarre ».
Philippe le Bel abaissa le menton,
presque imperceptiblement, d’un mouvement d’approbation résignée. Son règne
était clos.
Il fallut lui guider la main pour
qu’il signât au bas du parchemin. Il murmura :
— Est-ce tout ?
Non ; la dernière journée d’un
roi de France n’était pas encore achevée.
— Il faut maintenant, Sire, que
vous remettiez le miracle royal, dit frère Renaud.
Il invita l’assistance à se retirer
afin que le roi transmît à son fils le pouvoir, mystérieusement attaché à la
personne royale, de guérir les écrouelles.
Renversé sur ses coussins, Philippe
le Bel gémit :
— Frère Renaud, regardez ce que
vaut le monde. Voici le roi de France !
À l’instant qu’il mourait, on
exigeait encore de lui un effort pour qu’il investît son successeur de la
capacité, réelle ou supposée, de soulager une affection bénigne.
Ce ne fut point Philippe le Bel qui
enseigna les formules et prières du miracle ; il les avait oubliées. Ce
fut frère Renaud. Et Louis de Navarre, agenouillé auprès de son père, ses mains
trop chaudes jointes aux mains glacées du roi, recueillit l’héritage secret.
Ce rite accompli, la cour fut à
nouveau admise dans la chambre, et frère Renaud commença de réciter les prières
des agonisants.
La cour reprenait le verset
« In manus tuas, Domine… Entre tes mains, Seigneur, je remets mon
esprit…», lorsqu’une porte s’ouvrit ; l’évêque Pierre de Latille, l’ami
d’enfance du roi, arrivait. Tous les regards se dirigèrent vers lui, tandis que
toutes les lèvres continuaient de marmonner.
— In manus tuas, Domine ,
dit l’évêque Pierre reprenant avec les autres.
On se retourna vers le lit, et les
prières s’arrêtèrent dans les gorges ; le Roi de fer était mort.
Frère Renaud s’approcha pour lui
fermer les yeux. Mais les paupières qui n’avaient jamais battu se relevèrent
d’elles-mêmes. Par deux fois, le grand inquisiteur essaya vainement de les
abaisser. On dut couvrir d’un bandeau le regard de ce monarque qui entrait les
yeux ouverts dans l’Éternité.
RÉPERTOIRE
BIOGRAPHIQUE
Les souverains apparaissent dans ce
répertoire au nom sous lequel ils ont régné ; les autres personnages à
leur nom de famille ou de fief principal. Nous n’avons pas fait mention de
certains personnages épisodiques, lorsque les documents historiques ne
conservent de leur existence d’autre trace que l’action précise pour laquelle
ils figurent dans notre récit.
Alençon
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