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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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pape est-il élu ?
demanda-t-il.
    — Non, Sire.
    Plusieurs problèmes se bousculaient,
s’enchevêtraient dans son esprit épuisé.
    Chaque homme, parce qu’il croit un
peu que le monde est né en même temps que lui, souffre, au moment de quitter la
vie, de laisser l’univers inachevé. À plus forte raison un roi.
    Philippe le Bel chercha du regard son
fils aîné.
    Louis de Navarre, Philippe de
Poitiers, Charles de France se tenaient au chevet du lit, flanc à flanc, et
comme soudés devant l’agonie de leur géniteur. Le roi dut renverser la tête
pour les voir.
    — Pesez, Louis, pesez,
murmura-t-il, ce que c’est que d’être le roi de France ! Sachez au plus
tôt l’état de votre royaume.
    La comtesse Mahaut manœuvrait pour
se rapprocher, et l’on devinait bien quels pardons ou quelles grâces elle se
disposait à arracher au mourant.
    Frère Renaud adressa au comte de
Valois un regard qui signifiait : « Monseigneur, intervenez. »
    Louis de Navarre dans quelques
moments serait roi de France, et nul n’ignorait que Valois le dominait
complètement. Aussi l’autorité de ce dernier croissait-elle à proportion, et le
grand inquisiteur se tournait vers lui comme vers la puissance véritable.
    Valois, coupant la route à Mahaut,
vint se placer entre elle et le lit.
    — Mon frère, dit-il,
n’avez-vous rien à changer dans votre testament de 1311 ?
    — Nogaret est mort, répondit le
roi.
    Valois hocha le front, tristement,
vers le grand inquisiteur, lequel, aussi tristement, écarta les mains comme
pour déplorer qu’on eût trop attendu. Mais le roi ajouta :
    — Il était exécuteur de mes
volontés.
    — Il vous faut alors dicter un
codicille pour nommer à nouveau vos exécuteurs, mon frère, dit Valois.
    — J’ai soif, murmura Philippe
le Bel.
    On lui remit un peu d’eau bénite sur
les lèvres.
    Valois reprit :
    — Vous désirez toujours, je
pense, que je veille au respect de vos volontés.
    — Certes… Et vous aussi, Louis,
mon frère, dit le roi en regardant le comte d’Évreux.
    Maillard avait commencé d’écrire,
prononçant à mi-voix les formules rituelles des testaments royaux.
    Après Louis d’Évreux, le roi désigna
ses autres exécuteurs testamentaires, à mesure que ses yeux, plus
impressionnants encore maintenant que leur large pâleur se troublait,
rencontraient certains visages autour de lui. Il nomma ainsi Philippe le
Convers, et puis Pierre de Chambly, qui était un familier de son second fils,
et encore Hugues de Bouville.
    Alors, Enguerrand de Marigny
s’avança et fit en sorte que sa massive personne fût bien en vue du mourant.
    Le coadjuteur savait que, depuis
deux semaines, Charles de Valois ressassait devant le souverain affaibli ses
griefs et ses accusations. « C’est Marigny, mon frère, qui est cause de
votre souci… C’est Marigny qui a mis le Trésor au pillage… C’est Marigny qui a
déshonnêtement marchandé la paix de Flandre… C’est Marigny qui vous a conseillé
de brûler le grand-maître…»
    Philippe le Bel allait-il, comme chacun
d’évidence s’y attendait, citer Marigny parmi ses exécuteurs, lui donnant par
là même une ultime confirmation de sa confiance ?
    Maillard, la plume levée, observait
le roi. Mais Valois dit très vite :
    — Le nombre y est, je crois,
mon frère.
    Et il eut pour Maillard un geste
impératif qui signifiait de clore la liste. Marigny, blême, serra les poings
sur sa ceinture et, forçant la voix, prononça :
    — Sire !… Je vous ai
toujours fidèlement servi. Je vous demande de me recommander à Monseigneur
votre fils.
    Entre ces deux rivaux qui se
disputaient son esprit, entre Valois et Marigny, entre son frère et son premier
ministre, le roi eut un moment de flottement. Comme ils pensaient à eux-mêmes,
et bien peu à lui !
    — Louis, dit-il avec lassitude,
qu’on ne lèse point Marigny s’il prouve qu’il a été fidèle.
    Alors Marigny comprit que les
calomnies avaient porté. Devant un abandon si flagrant, il se demanda si
Philippe le Bel l’avait jamais aimé.
    Mais Marigny connaissait les
pouvoirs dont il disposait. Il avait en main l’administration, les finances,
l’armée. Il savait, lui, « l’état du royaume », et qu’on ne pouvait,
sans lui, gouverner. Il croisa les bras, releva son large menton et, regardant
Valois et Louis de Navarre de l’autre côté du lit où agonisait son souverain,
il parut défier le règne suivant.
    — Sire,

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