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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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grande ombre sur le royaume…»
    Et soudain, un soir, Philippe le Bel
éprouva de nouveau sous le crâne ce terrible éclatement noir et cette chute
dans les ténèbres qu’il avait connus dans la forêt de Pont-Sainte-Maxence.
Cette fois, il n’y avait plus ni cerf ni croix. Il n’y avait qu’un grand corps
prostré dans un lit, et sans aucun sentiment des soins qu’on lui prodiguait.
    Lorsqu’il émergea de cette nuit de
la conscience, dont il était incapable de savoir si elle avait duré une heure
ou deux jours, la première chose que distingua le roi fut une large forme
blanche surmontée d’une étroite couronne noire, et qui se penchait sur lui. Il
entendit aussi une voix qui lui parlait.
    — Ah ! Frère Renaud, dit le
roi faiblement, je vous reconnais bien… Mais vous me paraissez comme entouré de
brume. Et puis aussitôt, il ajouta :
    — J’ai soif.
    Frère Renaud, des dominicains de
Poissy, humecta les lèvres du malade d’un peu d’eau bénite.
    — A-t-on mandé l’évêque Pierre ?
Est-il arrivé ? demanda alors le roi.
    Par un de ces mouvements de l’esprit
fréquents chez les mourants et qui les reportent vers leurs plus lointains
souvenirs, c’avait été l’obsession du roi dans les derniers jours que de
réclamer à son chevet l’un de ses compagnons d’enfance, Pierre de Latille,
évêque de Châlons et membre de son Conseil. On s’interrogeait sur ce désir,
auquel on cherchait des motifs cachés, alors qu’on aurait dû n’y voir qu’un
accident de la mémoire.
    — Oui, Sire, on l’a fait
mander, répondit frère Renaud.
    Il avait effectivement dépêché un
chevaucheur vers Châlons, mais le plus tard possible, avec l’espoir que
l’évêque n’arriverait pas à temps.
    Car frère Renaud avait un rôle à
jouer dont il n’entendait se dessaisir au profit d’aucun autre ecclésiastique.
En effet, le confesseur du roi était en même temps le grand inquisiteur de
France ; leurs consciences partageaient les mêmes lourds secrets. Le
monarque tout-puissant ne pouvait requérir l’ami de son choix pour l’assister
au grand passage.
    — Me parliez-vous depuis
longtemps, frère Renaud ? demanda le roi.
    Frère Renaud, le menton effacé dans
la chair, l’œil attentif, était chargé, à présent, sous le couvert des volontés
divines, d’obtenir du roi ce que les vivants attendaient encore de lui.
    — Sire, dit-il, Dieu vous
saurait gré de laisser bien en ordre les affaires du royaume.
    Le roi resta un instant sans
répondre.
    — Frère Renaud, ai-je dit ma
confession ? demanda-t-il.
    — Mais oui, Sire, avant-hier,
répondit le dominicain. Une belle confession, et qui a fait notre grande
admiration et fera celle de tous vos sujets. Vous vous êtes repenti d’avoir
harassé votre peuple, et surtout l’Église, de trop d’impôts ; et aussi
vous avez déclaré que vous n’aviez point à implorer pardon des morts ordonnées
par votre justice, parce que la Foi et la Justice se doivent assistance.
    Le grand inquisiteur avait élevé la
voix pour que les assistants l’entendissent bien.
    — Ai-je dit cela ? demanda
le roi.
    Il ne savait plus. Avait-il vraiment
prononcé ces paroles, ou bien frère Renaud était-il en train de lui inventer
cette fin édifiante que doit faire tout grand personnage ? Il murmura
simplement :
    — Les morts…
    — Il faudrait que vous nous
instruisiez de vos volontés dernières, Sire, insista frère Renaud.
    Il s’écarta un peu, et le roi
s’aperçut que la chambre était pleine.
    — Ah ! dit-il, je vous
reconnais bien, vous tous qui êtes ici.
    Il paraissait surpris d’avoir
conservé cette faculté d’identifier les visages.
    Ils étaient tous là autour de lui,
ses physiciens, son chambellan, son frère Charles à la stature avantageuse, son
frère Louis un peu en retrait, le col penché, et Enguerrand, et Philippe le
Convers, son légiste, et son secrétaire Maillard, le seul assis, à une petite
table, contre les draps… tous immobiles, et tellement silencieux, et tellement
estompés qu’ils semblaient arrêtés dans une irréalité éternelle.
    — Oui, oui, répéta-t-il, je
vous reconnais bien.
    Ce géant, au loin, dont la tête
émergeait au-dessus de tous les fronts, c’était Robert d’Artois, son turbulent
parent… Une haute femme, à quelque distance, retroussait ses manches d’un geste
d’accoucheuse. La vue de la comtesse Mahaut rappela au roi les princesses
condamnées.
    — Le

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