Le Roi de l'hiver
de l’imposante église de pierre qu’avaient
construite les Romains et qui dominait encore l’enceinte chrétienne. Une année,
Merlin avait fait planter en grande pompe un buisson semblable sur le Tor, et
nous nous étions tous prosternés devant lui avec force chants, danses et
courbettes. Les chrétiens du village avaient prédit que leur Dieu allait nous
frapper, mais il ne s’était rien passé. Pour finir nous l’avons fait brûler et
en avons mélangé les cendres à la pitance des gorets, mais le Dieu des
chrétiens continue à faire comme si de rien n’était. Les chrétiens prétendaient
que leur buisson était magique, qu’il avait été apporté à Ynys Wydryn par un
étranger qui avait vu le Dieu des chrétiens cloué à un arbre. Que Dieu me
pardonne mais, en ces temps lointains, je me moquais de ces sornettes. Je ne
comprenais pas, alors, quel rapport avait cette aubépine avec le meurtre de
Dieu, mais maintenant si, bien que je puisse vous assurer que l’épine du
Christ, si elle pousse encore à Ynys Wydryn, n’est point l’arbre jailli du
bâton de Joseph d’Arimathie. Je le sais, car une nuit noire, au cour de
l’hiver, où Merlin m’avait envoyé chercher une flasque d’eau pure à la source
sacrée, au sud du Tor, j’ai vu les moines chrétiens déterrer un petit buisson
ardent pour remplacer l’arbuste qui venait de mourir à l’abri de leur clôture.
L’épine du Christ ne faisait jamais long feu, mais était-ce à cause de la bouse
de vache dont nous le recouvrions ou simplement à cause des rubans que les
pèlerins nouaient à ce malheureux buisson, je ne saurais le dire. Les moines de
l’Épine-du-Christ n’en prospéraient pas moins, engraissés par les dons généreux
des pèlerins.
Les moines
d’Ynys Wydryn se réjouirent que Norwenna fût venue jusqu’à notre
palissade ; car ils avaient maintenant une bonne raison pour escalader le
sentier escarpé et porter leurs prières au cœur du bastion de Merlin. Bien que
la Vierge Marie n’eût point daigné délivrer son enfant, la princesse demeurait
une chrétienne convaincue, à la langue acérée, et elle exigea que les moines
fussent admis chaque matin. Je ne sais si Merlin les aurait laissés pénétrer
dans l’enceinte, et Nimue maudit certainement Morgane d’avoir donné sa
permission, mais, en ces jours-là, Merlin n’était pas à Ynys Wydryn. Voilà plus
d’un an que nous n’avions vu notre maître mais, dans son étrange célérité, la
vie se poursuivait sans lui.
Et Dieu sait
qu’elle était étrange. De tous les habitants d’Ynys Wydryn, Merlin était le
plus bizarre, mais, pour son plaisir, il avait réuni autour de lui une tribu de
créatures estropiées, défigurées, tordues et à demi folles. Druidan, son
intendant et le chef de sa garde, était un nain. Pas plus haut qu’un gamin de
cinq ans, il avait cependant des colères de grand gaillard et il ne s’écoulait
pas un jour sans qu’il ne prît les armes et ne passât son armure :
jambières, plastron, casques et armes. Il se révoltait contre le sort qui
l’avait rabougri et se vengeait sur les seules créatures qui fussent plus
petites que lui : les orphelins que Merlin recueillait avec tant de
nonchalance. Rares étaient les filles de Merlin que Druidan ne poursuivait de
sa frénésie même si, le jour où il avait essayé d’entraîner Nimue dans son lit,
il avait payé sa peine d’une volée de bois vert. Merlin l’avait frappé à la
tête, lui déchirant les oreilles, lui ouvrant les lèvres et lui pochant les
yeux sous les acclamations des gosses et des sentinelles. Les gardes que
commandait Druidan étaient tous éclopés, aveugles ou déments, certains étaient
les trois à la fois, mais aucun n’était assez fou pour aimer son chef.
Nimue, mon
amie d’enfance, était irlandaise. Les Irlandais étaient des Bretons, mais,
n’ayant jamais été soumis par les Romains, ils se croyaient meilleurs que les Bretons
de la grande terre, qu’ils pillaient, harcelaient, asservissaient et
colonisaient. Si les Saxons n’avaient été d’aussi terribles ennemis, nous
aurions tenu les Irlandais pour les pires de toutes les créatures de Dieu, même
s’il nous arrivait de temps à autre de passer des alliances avec eux contre
quelque autre tribu de Bretons. Nimue avait été arrachée à sa famille au cours
d’un raid mené par Uther contre les hameaux irlandais de Démétie, dans la baie
où se jette le Severn. Les seize
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