Le Roi de l'hiver
descendit l’échelle de bois, remonta sa robe et courut
à travers la neige piétinée jusqu’à la porte du château. Il y resta quelques
secondes puis revint en courant vers le rempart en agitant les mains.
« Bonne
nouvelle, Sire, bonne nouvelle ! cria Bedwin en grimpant maladroitement à
l’échelle. Excellentes nouvelles !
— Un
garçon, marmonna Uther sans lui laisser le temps de continuer.
— Un
garçon ! confirma Bedwin, un beau garçon ! »
Blotti près du
Grand Roi, je vis ses yeux s’embuer de larmes, le regard levé au ciel.
« Un
héritier ! lâcha-t-il, avec le ton émerveillé de qui n’avait osé vraiment
espérer que les Dieux lui fissent cette faveur. Le royaume est sauvé, Bedwin,
dit-il en essuyant ses larmes de sa main gantée.
— Que
Dieu soit loué. Sire, il est sauvé, reconnut Bedwin.
— Un
garçon, répéta Uther, puis sa grande carcasse fut secouée soudain d’une
terrible quinte de toux qui le laissa haletant. Un garçon ! »
reprit-il quand il eut retrouvé son souffle.
Au bout de quelques
instants parut Morgane. Elle grimpa l’échelle et allongea son corps trapu au
pied du Grand Roi. Son masque d’or resplendissait, dissimulant l’horreur de son
visage aux regards. Uther lui toucha l’épaule avec son bâton.
« Lève-toi,
Morgane ! » ordonna-t-il tout en farfouillant sous sa robe pour
retrouver la broche d’or dont il voulait la récompenser.
Mais Morgane
n’en voulait pas.
« Le
garçon, fit-elle d’une voix lugubre, est estropié. Il est pied bot. »
Je vis Bedwin
se signer, car il n’était de pire augure, en cette nuit glaciale, qu’un prince
estropié.
Uther voulut
en savoir plus.
« Rien
que le pied, reprit Morgane de sa voix rauque. La jambe est bien formée, Sire,
mais le prince ne courra jamais. »
Profondément
emmitouflé dans son manteau de fourrure, Uther gloussa.
« Les
rois ne courent pas, Morgane, ils marchent, ils règnent, ils chevauchent et
récompensent leurs bons et loyaux serviteurs. Prends cet or »,
ordonna-t-il en lui tendant à nouveau la broche : une pièce d’or massif,
magnifiquement ouvragée en forme de dragon, le talisman d’Uther.
Mais Morgane
n’en voulait toujours pas.
« Et le
garçon est le dernier enfant que Norwenna portera jamais, Sire, prévint-elle.
Nous avons brûlé la délivre, et elle s’est consumée sans bruit. »
On jetait toujours
la délivre au feu et, au crépitement, on savait combien d’enfants la mère
mettrait encore au monde.
« J’ai
tendu l’oreille, précisa Morgane, mais elle a gardé le silence.
— Les
Dieux l’ont voulu ainsi, trancha Uther d’une voix courroucée. Mon fils est
mort, poursuivit-il d’un air morne. Qui d’autre pourrait donner à Norwenna un
garçon digne de faire un roi ? »
Morgane marqua
un temps de silence.
« Vous,
Sire ? » dit-elle enfin.
À cette idée,
Uther gloussa, puis le rire étouffé se transforma en éclat de rire, avant
qu’une nouvelle quinte de toux ne le fît plier en deux sous l’effet de la
douleur. Ayant retrouvé son souffle, il hocha la tête en frémissant.
« L’unique
devoir de Norwenna était de mettre bas un garçon, ce qu’elle a fait. Le nôtre
est de le protéger.
— Par
toutes les forces de la Dumnonie, s’empressa d’ajouter Bedwin.
— Les
nouveau-nés meurent facilement, susurra Morgane, histoire de mettre en garde
les deux hommes.
— Pas
celui-ci, trancha vivement Uther, pas celui-ci. Il ira à toi, Morgane, à Ynys
Wydryn, et tu useras de tes talents pour qu’il vive. Pour l’heure, prends cette
broche. »
Morgane finit
par accepter le dragon. Le bébé estropié continuait à vagir et sa mère à
pleurnicher, mais autour des remparts de Caer Cadarn, les tambours et les
serviteurs du feu clamaient la bonne nouvelle : notre royaume avait de
nouveau un héritier. La Dumnonie avait un Edling, et la naissance d’un prince
héritier annonçait un grand banquet et des cadeaux à profusion. La paillasse
maculée de sang et de délivre fut jetée au feu, et les flammes crépitèrent,
hautes et vives. Un enfant était né : tout ce qu’il lui fallait, c’était
un nom. Et son nom ne faisait aucun doute. Aucun. Uther quitta son siège et, de
son imposante carcasse, se dressa sur la muraille de Caer Cadarn pour prononcer
le nom de son nouveau petit-fils, le nom de son héritier et le nom du prince
héritier de son royaume. Ce fils de l’hiver recevrait le nom de son
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