Le Roman d'Alexandre le Grand
recouvraient son front.
Vers l’aube, Ariston dénuda la jambe
du patient. Voyant qu’elle était rouge et très enflée, il réveilla l’un de ses
assistants.
« Il faut lui appliquer des
sangsues pour atténuer la pression des liquides internes. Va chercher le
matériel nécessaire dans ma chambre. »
Barsine intervint :
« Pardonne-moi, mais il n’a pas été question de sangsues dans votre
conversation avec l’autre médecin. Vous aviez envisagé de pratiquer un drainage
en cas de suppuration, c’est tout.
— Aie confiance. C’est moi, le
médecin.
— L’Égyptien était le médecin
personnel de Spithridatès, et il a même soigné le Grand Roi Darius. J’ai
également confiance en lui. C’est pourquoi vous n’appliquerez pas les sangsues
avant d’entendre son avis.
— Tu n’as tout de même pas
l’intention d’écouter ce barbare ! s’emporta Ariston.
— Moi aussi, je suis une
barbare, lui rappela Barsine, et je t’interdis de mettre ces sales bêtes sur la
peau de mon mari si le médecin égyptien s’y oppose !
— Puisque c’est comme ça, je
m’en vais, affirma Ariston, vexé.
— Va…, lui fit alors écho une
voix qui semblait provenir de l’au-delà… te faire foutre.
— Memnon ! »
s’exclama Barsine en se tournant vers le lit. Puis elle ajouta à l’adresse
d’Ariston : « Mon époux se porte mieux, vous pouvez donc vous en
aller. Demain, je vous ferai parvenir votre dû. »
Ariston appela aussitôt ses
assistants.
« Je t’ai avertie, dit-il en
sortant. Sans l’application de sangsues, la tension deviendra insupportable et…
— J’en prends toute la
responsabilité, répliqua Barsine. Ne t’inquiète pas. » Lorsque les Grecs
furent partis, elle envoya un domestique chercher le médecin. Il quitta le
palais du satrape Spithridatès à bord d’un char et arriva en toute hâte.
« Que se passe-t-il, ma
dame ? demanda-t-il en mettant pied à terre.
— Les médecins yauna voulaient
lui appliquer des sangsues, mais je m’y suis opposée : je préférais
entendre ton avis. Vexés, ils sont partis.
— Tu as bien fait, ma
dame : les sangsues auraient aggravé son état. Comment va-t-il ?
— Il a toujours beaucoup de
fièvre, mais il est réveillé et il parle.
— Conduis-moi auprès de
lui. »
Ils pénétrèrent dans la chambre de
Memnon. Malgré les invocations des servantes et les imprécations de ses hommes,
qui avaient veillé toute la nuit derrière la porte, il tentait de quitter son
lit.
« Si tu poses cette jambe par
terre, je serai obligé de l’amputer », avertit le médecin.
Memnon hésita un moment avant de se
recoucher en grommelant. Barsine dénuda sa cuisse blessée et l’Égyptien
commença à l’examiner : elle était gonflée, enflammée et douloureuse, mais
elle ne présentait aucun signe de suppuration. Il ouvrit donc son sac et en
versa le contenu sur la table.
« Qu’est-ce que c’est ?
interrogea Barsine.
— Une variété de mousse. J’ai
vu des guerriers ossadiens soigner leurs blessures avec ce végétal et obtenir
une cicatrisation très rapide. J’ignore par quel mystère ce phénomène se
produit, mais ce qui compte, pour un médecin, c’est d’arriver à la guérison,
non d’être conforté dans ses convictions. Quoi qu’il en soit, les emplâtres de
mauve n’auraient pu suffire, je le crains. »
Il appliqua la mousse sur la cuisse
du patient et la banda. « Si, d’ici à demain, il est pris de fortes
démangeaisons, cela signifiera qu’il guérit. Mais empêchez-le à tout prix de se
gratter. S’il le faut, attachez-lui les mains. En revanche, si sa jambe enfle
encore et devient plus douloureuse, appelez-moi. Il faudra alors l’amputer.
Maintenant, je dois partir : de nombreux blessés m’attendent à
Zéléia. »
Il disparut sur un char tiré par
deux mulets. Barsine permit aux soldats de son mari de le voir quelques
instants, puis elle monta sur la tour la plus haute du palais, où elle avait
élevé un petit sanctuaire du feu. Un prêtre y priait, les yeux fixés sur la
flamme sacrée.
Barsine s’agenouilla en silence,
elle regarda les langues de feu danser sous le souffle léger qui provenait du
sommet des montagnes, dans l’attente du verdict. Le prêtre finit par
dire : « Ce n’est pas cette blessure qui le tuera.
— C’est tout ce que tu peux me
révéler ? » lui demanda-t-elle avec inquiétude. Le prêtre plongea de
nouveau le regard
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