Le Roman d'Alexandre le Grand
sent humilié parce
qu’il n’a pas compris les usages d’un peuple qu’il estime, et parce qu’il les a
offensés sans le vouloir. »
Le secrétaire attendit que le soleil
se couche pour se rendre auprès d’Alexandre.
« Le général Parménion t’invite
à dîner avec tous les officiers, si tu en as envie.
— Oui, dis-lui que je vous
rejoindrai dans un moment.
— Ne te morfonds pas ainsi,
observa Eumène, remarquant que son ami était toujours aussi sombre. Tu ne
pouvais pas imaginer…
— Ce n’est pas ça. Je songeais…
— À quoi ?
— Aux usages de ces Perses.
— Je pense qu’ils ont conservé
un rituel qui remonte à la période où ils étaient encore nomades.
— Sa grandeur réside justement
dans le fait que les usages des Anciens n’aient pas été oubliés. Mon ami,
j’aimerais, moi aussi, dormir à jamais sur une tour du silence, si je tombais
sur le champ de bataille.
9
Le lendemain, Alexandre envoya Parménion prendre possession de Zéléia
et occuper Dascyléion, la capitale de la Phrygie hellespontique. C’était une
belle ville au bord de la mer, avec un palais fortifié.
Les nobles perses s’étaient enfuis
en n’emportant que leurs biens les plus précieux, et le général interrogea
leurs domestiques pour qu’ils lui révèlent leur destination, ainsi que la
cachette de Memnon, puisqu’on n’avait pas trouvé son corps sur le champ de
bataille.
« Nous ne l’avons pas revu,
puissant seigneur, lui confia l’un des administrateurs du palais. Peut-être
s’est-il caché loin du lieu de l’affrontement, et s’est-il éteint plus tard
dans sa cachette. À moins que ses domestiques ou ses soldats ne l’aient
enseveli pour éviter qu’il ne soit dévoré par les chiens et les rapaces. Mais
il n’est pas venu ici. »
Parménion convoqua son fils,
Philotas.
« Je ne crois pas un mot de ce
que ces barbares m’ont dit, mais il est probable que Memnon a été blessé. Il
possédait, semble-t-il, une demeure dans cette ville, où il vivait comme un
satrape perse. Envoie des détachements de cavalerie légère inspecter la
région : ce Grec est le plus dangereux de nos adversaires. S’il est
vivant, il nous causera d’innombrables ennuis. Cette nuit, j’ai aperçu des
signaux lumineux dans les montagnes : ils transmettent certainement des
nouvelles concernant notre victoire. Nous aurons rapidement une réponse, et
certes pas de bienvenue.
— Je ferai tout mon possible,
père, et je t’amènerai Memnon pieds et poings liés. »
Parménion secoua la tête.
« Non, surtout pas. Si tu le trouves, traite-le avec respect. Il n’y a pas
de soldat plus valeureux que lui à l’est des Détroits.
— Mais c’est un
mercenaire !
— Et alors ? C’est un
homme à qui la vie a ôté toute illusion, un homme qui ne croit qu’à son épée.
Cette raison suffit pour le respecter. »
Philotas battit soigneusement la
campagne, perquisitionna les villas et les palais, questionna les esclaves en
recourant parfois à la torture. Mais il n’obtint aucun résultat.
« Rien, rapporta-t-il à son
père quelques jours plus tard. Absolument rien. Comme s’il n’avait jamais
existé.
— Il y a peut-être un moyen de
le débusquer. Surveille les médecins, et notamment les meilleurs d’entre
eux : ils pourraient te mener au chevet d’un illustre patient.
— Bonne idée, père. C’est
étrange, j’ai toujours pensé que tu étais un soldat, un homme uniquement
capable de concevoir des plans de bataille géniaux, et voici que…
— Gagner des batailles ne
suffit pas : les difficultés viennent ensuite.
— Je suivrai tes
conseils. »
Philotas commença à distribuer de
l’argent et à cultiver des amitiés, en particulier dans les couches humbles de
la population, et il ne tarda pas à apprendre le nom des meilleurs médecins. Le
plus habile d’entre eux était un certain Snefru-en-Kaptah, un Égyptien qui
avait soigné le roi Darius à Suse, avant de devenir le médecin personnel du
satrape de Phrygie, Spithridatès.
Philotas se mit à l’affût. Un soir,
il vit l’homme sortir par une petite porte, à l’arrière de sa demeure, monter
prudemment dans un char tiré par une mule, et prendre le chemin de la campagne.
Philotas le suivit, à la tête d’un détachement de cavalerie légère. Après avoir
parcouru un long trajet dans le noir, il aperçut au loin les lumières d’une
somptueuse demeure : un palais aux murs
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