Le Roman d'Alexandre le Grand
dans les flammes, qui prenaient de la vigueur au gré du vent.
« Je vois un grand honneur pour Memnon, qui comportera aussi un grave
danger. Reste à ses côtés, ma maîtresse, et fais en sorte que ses fils ne le
quittent pas non plus. Il a encore beaucoup à leur apprendre. »
8
Le butin recueilli dans le camp perse et les armes prélevées sur les
cadavres étaient amassés au centre du camp. Les hommes d’Eumène en dressaient
l’inventaire.
Alexandre se présenta en compagnie
d’Héphestion et de Séleucos, il s’assit sur un tabouret auprès du secrétaire
général.
« Comment va ta
tête ? », lui demanda ce dernier en indiquant le bandage voyant dont
Philippe, le médecin, avait enveloppé le crâne du roi.
— Assez bien, répondit
Alexandre, mais il s’en est fallu de peu. Si le Noir n’avait pas été là, je ne
profiterais pas du soleil à l’heure qu’il est. Comme tu le vois, ajouta-t-il en
montrant le butin, nous avons de quoi nourrir nos hommes pendant un mois… et
payer nos mercenaires.
— Ne veux-tu rien garder pour
toi ? interrogea Eumène.
— Non, mais je souhaiterais
envoyer les étoffes de pourpre, les tapis et les tentures à ma mère. Quelque
chose aussi à ma sœur… ces vêtements perses, par exemple. Cléopâtre apprécie ce
qui n’est pas commun.
— Ce sera fait, acquiesça
Eumène avant d’ordonner aux domestiques de mettre de côté les objets en
question. Autre chose ?
— Oui. Choisis trois cents
panoplies, les plus belles, et envoie-les à Athènes afin qu’elles soient
offertes à la déesse Athéna au Parthénon. Avec une dédicace.
— Une dédicace…
particulière ?
— Naturellement. Tu
écriras :
De la part d’Alexandre et des Grecs
– sauf les Lacédémoniens –, qui ont confisqué ces armes aux barbares qui
habitent l’Asie.
— Un camouflet pour les
Spartiates, commenta Séleucos.
— Je leur rends la pareille,
puisqu’ils ont refusé de prendre part à mon expédition, répliqua le souverain.
Ils ne vont pas tarder à comprendre qu’ils ne forment plus qu’un village sans
importance. Le monde marche avec Alexandre.
— J’ai convoqué Apelle et
Lysippe afin qu’ils exécutent ton portrait équestre, annonça Eumène. Je crois
qu’ils atteindront la côte dans quelques jours, à Assos ou à Abydos. Nous en
serons avertis. Tu pourras ainsi poser aussi bien pour la statue que pour le
tableau.
— Cela ne m’intéresse pas, dit
Alexandre. Je veux un monument à nos soldats tombés dans la bataille, quelque
chose de jamais vu, que seul Lysippe est en mesure d’exécuter.
— Nous connaîtrons vite l’effet
que ta victoire a produit sur nos amis, comme sur nos ennemis, intervint
Séleucos. Je suis curieux de savoir ce que diront les habitants de Lampsaque
qui refusent d’être libérés.
— Ils diront qu’ils te sont
très reconnaissants de les avoir libérés, dit Héphestion en ricanant. Le
vainqueur a toujours raison, le perdant toujours tort.
— La lettre que j’ai écrite à
ma mère est-elle partie ? demanda Alexandre à Eumène.
— À l’instant même où tu me
l’as confiée. Elle doit déjà avoir atteint la côte. Avec le vent favorable,
elle arrivera en Macédoine dans trois jours, au plus tard.
— Aucune nouvelle du côté des
Perses ?
— Aucune.
— C’est étrange… J’ai fait
soigner leurs blessés par mes chirurgiens et ensevelir leurs morts avec tous
les honneurs. »
Eumène leva les sourcils.
« Si tu essaies de me dire
quelque chose, parle, par Zeus !
— C’est justement là le
problème.
— Je ne comprends pas.
— Les Perses n’enterrent pas
leurs morts.
— Quoi ?
— Je ne le savais pas moi non
plus : c’est un prisonnier qui me l’a expliqué hier. Les Perses
considèrent que la terre et le feu sont sacrés, ils jugent les cadavres
immondes. Voilà pourquoi ils pensent qu’en les ensevelissant, ils
contamineraient la terre, et qu’en les brûlant, comme nous le faisons, ils
contamineraient le feu, qui est un dieu pour eux.
— Mais… alors ?
— Ils placent les cadavres sur
des hauteurs, ou au sommet de tours, dans les montagnes, où ils sont dévorés
par les rapaces et lentement consumés par les intempéries. Ces constructions se
nomment « tours du silence ». »
Alexandre se leva sans mot dire et
se dirigea vers sa tente.
Devinant son état d’âme, Eumène fit
signe à ses compagnons de le laisser partir. « Il se
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