Le Roman des Rois
d’étriers ou d’éperons dorés. Ses vêtements étaient de camelin et de pers ; la panne de ses couvertures et de ses habits était de daim, ou de jambe de lièvre, ou d’agneau.
Il était si sobre de sa bouche que jamais il ne commandait de plats autres que ceux que son cuisinier lui apprêtait. On les mettait devant lui et il les mangeait.
Il trempait son vin dans un gobelet de verre, mettant l’eau en proportion de sa force, et il tenait le gobelet à la main pendant que, derrière lui, on lui faisait le mélange.
Il faisait tous les jours manger ses pauvres et, après le repas, leur faisait distribuer de l’argent.
Quand les ménétriers des gentilshommes entraient, à la fin du repas, apportant leurs vielles, il attendait, pour entendre ses grâces, que le ménétrier eût achevé son couplet.
Alors il se levait et les prêtres, se tenant debout devant lui, disaient les grâces.
Et lorsque des gentilshommes venaient à sa table, il leur tenait bonne compagnie.
Car si Louis était humble, sache, mon fils, qu’il avait haute idée de ses devoirs et grand souci d’honorer sa lignée.
Je suivis un jour à ses côtés la procession qu’il conduisait jusqu’à l’abbaye de Saint-Denis. Il pria longtemps, puis parcourut, le visage grave, toute l’abbaye, s’arrêtant devant chaque sépulture.
Il s’entretint avec l’abbé, décida qu’il fallait ordonner les tombes de manière à ce que l’on comprît que les Capétiens étaient issus de deux lignées, mérovingienne et carolingienne. Les sépultures capétiennes devaient donc se trouver entre celles des deux lignées précédentes.
Il fit sculpter quatorze gisants royaux, car seuls devaient reposer à Saint-Denis les princes qui avaient reçu la dignité royale.
Apprends, Hugues, que le roi Louis appliqua cette règle à ses propres enfants décédés.
Il vit mourir plusieurs de ses descendants et, en janvier 1260, le fils aîné, l’héritier, disparaissait à son tour.
Louis s’était abîmé en prières.
Je l’avais déjà vu, en 1252, accablé par la mort de sa mère, s’isolant deux jours durant, au grand ébahissement de son entourage, à commencer par Joinville qui s’était étonné de ce « grand et outrageux deuil que vous en menez, vous qui êtes tenu pour un si grand prince ».
J’avais été meurtri par cette phrase de Joinville. Mais il n’eut pas à la répéter à l’occasion de la mort du fils aîné. Louis dit, après ses prières, qu’il fallait bénir le nom du Seigneur, qui était le souverain juge de chacun de nous.
Cette dévotion du roi, je la devinais chaque jour plus profonde. J’ai eu connaissance de deux lettres écrites de sa main qu’il adressa à son fils Philippe, lequel, à la suite de la mort de son aîné, Louis, devenait l’héritier de la dynastie.
« Je t’enseigne, écrit le roi, premièrement que tu aimes Dieu de tout ton coeur et de tout ton pouvoir, car, sans cela, personne ne peut rien valoir…
« Cher fils, je t’enseigne que tu aies le coeur compatissant envers les pauvres et envers tous ceux que tu considères
comme souffrants ou de coeur ou de corps… Aime le Bien en autrui et hais le Mal.
« Cher fils, je t’enseigne que tu te défendes autant que tu pourras d’avoir guerre avec un chrétien…
« Cher fils, s’il advient que tu deviennes roi…, sois si juste que tu ne t’écartes de la justice. Et s’il advient qu’il y ait querelle entre un pauvre et un riche, soutiens de préférence le pauvre contre le riche, jusqu’à ce que tu saches la vérité, et, quand tu la connaîtras, fais justice…
« Et s’il advient que tu aies querelle contre quelqu’un d’autre, soutiens la querelle de ton adversaire devant ton conseil… »
Cette volonté d’être juste, je la vis, en ces années, mise en oeuvre par le roi.
Les princes chrétiens comme ses sujets ne doutaient pas de son sens de la justice.
Le roi d’Angleterre, en conflit avec ses barons, choisit Louis comme arbitre. Et le roi de France rendit sa « mise » – en faveur d’Henri III – à Amiens, le 23 janvier 1264.
Il est arbitre encore dans la querelle qui oppose entre eux les clercs de l’université de Paris, les uns rangés derrière les Franciscains et les Dominicains – Bonaventure, Thomas d’Aquin –, les autres soutenant les frères des Ordres mendiants. C’est la querelle entre les réguliers, plus riches, et les séculiers, démunis.
Louis autorise son
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