Le Roman des Rois
tué trois sergents royaux qui avaient voulu le dépouiller.
Mais, malgré les interventions de la reine, de grandes dames, de dominicains et de franciscains, refusant de faire grâce de la vie à une dame qui avait tué son mari. Et n’accordant même pas qu’elle fût pendue loin des siens, afin de préserver leur honneur.
La justice du roi passait sans égard pour le rang des coupables.
Il se voulait irréprochable devant Dieu et agissait pour que tous ses sujets le fussent.
Sa vie, depuis son retour de croisade, était pour lui comme un long pèlerinage préparant un autre départ pour la Terre sainte.
Il reprend la croix le 25 mars 1267 devant les grands seigneurs du royaume. Il a alors cinquante-trois ans.
Je connaissais la grande faiblesse où était son corps, car il ne pouvait plus supporter ni d’aller en char, ni de chevaucher.
Et pourtant, faible comme il était, j’étais sûr que, s’il fût demeuré en France, il eût pu vivre assez et faire encore beaucoup de bien et de bonnes oeuvres.
Bien des seigneurs étaient hostiles à son départ.
Et Joinville me confie, me reprochant de ne pas m’être opposé à la volonté du roi mais d’être prêt à le suivre :
« Ils font un péché mortel, tous ceux qui lui conseillent le voyage, parce qu’au point où il est en France, tout le royaume est en bonne paix au-dedans et avec tous ses voisins… »
Mais comment moi, Denis de Thorenc, fidèle vassal du roi, son humble jumeau devant Dieu, aurais-je pu ne pas être à ses côtés au moment où il entreprenait l’action la plus importante de sa vie ? Car la Terre sainte était bien son but ultime.
Joinville, lui, se refusa à suivre le roi.
« Si, dit-il, je mets mon corps en l’aventure du pèlerinage de la Croix, là où je vois tout clair que ce serait pour le mal et dommage de mes gens, j’en courroucerais Dieu qui m’offrit ce corps pour sauver mon peuple. »
63.
Après le refus de Joinville et celui d’autres seigneurs de se croiser, j’ai vu le roi blessé.
Mais, dit-il, chacun sera jugé par Dieu à sa juste mesure, et, pour sa part, rien ne pouvait le détourner de son engagement.
J’ai parcouru la France à ses côtés de ville en ville, d’une abbaye à l’autre, de la Flandre à l’Auvergne.
Trois années s’écoulèrent ainsi à rassembler hommes et argent, à faire construire les navires qui transporteraient sergents, chevaliers, chevaux, provisions.
Le roi décida de s’adresser aux Génois, mais surtout d’être le maître des navires, de créer une flotte royale sur laquelle, à Aigues-Mortes, comme en 1248, les croisés embarqueraient.
Dans tout le royaume, c’était la Disputation du croisé et du décroisé , ainsi que l’avait écrit Rutebeuf.
Je me souviens encore de ce chant et de la Complainte d’Outre-mer :
Ha, Roi de France ! Roi de France !
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Or convient que vous y alliez…
Et, s’adressant aux chevaliers, Rutebeuf ajoutait :
Laisse donc les clercs et prélats
Et regarde le Roi de France
Qui peut conquérir Paradis
Veut mettre son corps en péril
Et ses enfants à Dieu prêter…
Le roi partait en compagnie de trois de ses fils, Philippe, Jean et Pierre.
Le 5 juin 1267, jour de la Pentecôte, il y eut l’adoubement de Philippe, héritier de la dynastie, en même temps que celui de nombreux jeunes écuyers.
J’assistai à cette grande fête dans les jardins du palais royal de la Cité, à Paris.
Le légat, Simon de Brie, désigné par le pape Clément IV, prêcha ce jour-là, pour que les chevaliers choisissent le service de Dieu en se croisant.
Puis le roi s’adressa à ses barons pour les exhorter à nouveau à se joindre à la croisade.
Le roi commença à dicter son testament, à choisir ceux qui, durant son absence, gouverneraient le royaume. La reine Marguerite ne suivrait pas le roi comme elle l’avait fait lors de la première croisade ; mais elle ne règnerait pas en ses lieu et place. Il laissait le pouvoir à Matthieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, et à Simon de Nesle, l’un des plus grands seigneurs du Vermandois.
Louis serait accompagné de son frère Alphonse de Poitiers, qui était présent à ses côtés ce 14 mars 1270 quand il se rendit à Saint-Denis pour recevoir le bourdon de pèlerin et prendre l’oriflamme déposée sur l’autel.
Je tremblai d’émotion en me souvenant que cette oriflamme avait été
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