Le Roman des Rois
royaume, nous devons tous prier, les prélats, les comtes, les barons et tous ceux de France, qu’ils veuillent maintenir l’état du roi et du royaume. »
Et la foule approuva en criant : « Oïl, oïl, oïl ! »
On était au mois d’août 1303. Une lutte à mort commençait.
Boniface écrivit :
« Nous ne souffrirons pas que cet exemple détestable soit donné au monde… que le roi imite Nabuchodonosor ! »
Le roi me chargea de rejoindre Guillaume de Nogaret en Italie afin de transmettre ses instructions.
Je ne citerai pas ici le nom d’un membre du Conseil du roi, un grand prélat, qui, s’approchant de moi, me dit :
« Hugues de Thorenc, tu sais que ce Boniface est un mauvais homme, un hérétique qui entasse les scandales. Tue-le ! Je prends tout sur moi ! »
J’eus l’impression que tout le sang de mon corps emplissait ma gorge et ma bouche, envahissait ma tête.
Je ne pus répondre.
J’entendis tout à coup la voix du roi, courroucée :
« Non, non, à Dieu ne plaise ! cria-t-il. Hugues de Thorenc n’en fera rien ! »
78.
J’ai chevauché et le tourment m’a dévoré la poitrine.
Je savais que j’allais faire violence à celui qui prétendait être le vicaire du Christ, le successeur de l’apôtre Pierre.
J’avais été convaincu par ses accusateurs, mais Boniface VIII était chrétien ; avant d’être souverain pontife, il avait été légat du pape. Était-il le « voleur », voire l’assassin de son prédécesseur, comme l’avait prétendu Guillaume de Nogaret ?
J’essayais de m’en persuader.
Mais je pensais qu’il était d’abord l’ennemi du roi de France, mon suzerain, et qu’il voulait vaincre le royaume des lis qui était, depuis les origines, celui de la lignée des Thorenc.
Près des frontières de Sienne, sur le territoire de Florence, je retrouvai Guillaume de Nogaret dans le château du frère du banquier Musciatto dei Francesi.
Nous étions à quelques heures de route d’Anagni, la ville où résidait Boniface VIII.
Guillaume de Nogaret avait appris que le pape se préparait à publier, le 8 septembre, la bulle d’excommunication de Philippe le Bel.
Il fallait agir dès le 7.
Nogaret avait rassemblé quelques centaines d’hommes d’armes, cavaliers et sergents à pied.
La troupe s’avança dans l’aube de ce jour, sous la bannière du Saint-Siège et l’oriflamme à fleurs de lis du roi. Les hommes de la famille Colonna, opposée à Boniface VIII et à sa famille, les Caetani, formaient le gros de la troupe.
On arriva enfin sur la place d’Anagni, et des habitants crièrent « Vive le roi et Colonna ! ».
On pénétra dans la cathédrale qui communiquait avec le château où vivait le pape.
On força les portes, cependant que le palais des Caetani était envahi et pillé.
J’ai vu tout cela.
J’ai vu le pape dans sa chambre, tenant les clés et la croix dans ses mains.
Les hommes de la famille Colonna l’insultèrent. L’un d’eux, Sciarra, menaça de le tuer, et peut-être même le frappa-t-il.
J’avais détourné la tête.
Ce vieillard qui répétait « Eccovi il colo , eccovi il capo » – voici mon cou, voici ma tête –, je ne pouvais le haïr.
Se campant devant le pape, Guillaume de Nogaret assura qu’il voulait le protéger.
« Je veux vous conserver en vie, dit-il, et vous présenter au concile général, et, à ces fins, je vous arrête… »
J’atteste que le pape ne fut ni lié, ni mis aux fers, ni chassé de son hôtel.
Guillaume de Nogaret le garda dans la chambre, et nous étions nombreux à être avec lui.
Le pape dodelinait de la tête, les yeux effarés, comme s’il ne comprenait plus ce qui lui arrivait.
C’est ce vieillard qu’il aurait fallu conduire d’Anagni à Lyon, contre la volonté des Colonna qui voulaient le garder en Italie.
Mais, dans la nuit du 8 au 9 septembre, j’entendis des cris. On hurlait dans la ville : « Vive le pape ! Mort aux étrangers ! »
Près de quatre cents cavaliers romains surgirent et nous fûmes chassés d’Anagni.
Ils emmenèrent Boniface à Rome.
Nous nous mîmes en route afin de regagner le royaume de France.
Nous apprîmes par un messager, qui, disait-il, avait traversé un pays en feu et plein de mauvaises gens, que le pape avait perdu l’esprit et qu’il avait succombé après un mois de démence, le 11 octobre 1303.
Le roi de France l’avait emporté, mais je n’eus pas le coeur à célébrer
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