Le Roman des Rois
semblait avoir oublié la Croix et les principes de la Sainte Église qui voulaient qu’on ne se bâtit point entre chrétiens, mais qu’on réservât ses coups aux Infidèles !
Mais Philippe de Dreux était armé comme un chevalier, son heaume lacé, et de la voix et du geste il incitait ses routiers à piller et incendier en Normandie, fief qui n’était pas terre d’Infidèles, mais duché dont le suzerain était Richard Coeur de Lion. Mais cela seul suffisait aux donneurs de mort.
J’ai eu peur pour mon fils Henri de Thorenc.
J’ai eu peur pour le roi.
Jean sans Terre avait rallié son frère Richard et, en signe de soumission, avait massacré les routiers de Philippe Auguste qui tenaient Évreux.
Nous fûmes contraints d’éviter cette ville qui avait été nôtre, et de chevaucher dans la forêt de Fréteval en Vendômois.
Tout à coup, de derrière chaque tronc surgissent des routiers de Richard. Ils nous agrippent avec leurs crochets, ils dépouillent, ils égorgent, ils entraînent leurs proies qui deviennent de précieux butins, puisqu’ils exigeront pour les relâcher le versement de lourdes rançons.
On se bat à grands coups de glaive, et je vois les routiers anglais se précipiter sur les bagages du roi, et personne pour les repousser, personne pour les empêcher de s’emparer des archives et d’un des trésors royaux.
Il faut fuir.
Au soir de ce 3 juillet 1194, Philippe Auguste me dit qu’il placera désormais ses archives dans une tour du Louvre, car chaque manuscrit vaut plus qu’une bourse pleine de pièces d’or. Les archives du roi sont la mémoire de la lignée capétienne, explique-t-il.
J’observe le roi ; je le sais inquiet. Il craint d’être vaincu et de mourir assassiné par quelque routier à la solde de Richard.
Mais son visage est impassible. Il parle d’une voix calme alors que chaque fait qu’il rapporte constitue une blessure.
Il a été contraint de signer une trêve avec Richard. Elle a été transformée en traité de paix sous la pression des moines, des évêques et du pape, qui se souviennent des succès des Infidèles en Terre sainte, mais aussi en Espagne, et rêvent de voir les deux rois réconciliés partir à nouveau en croisade.
« C’est un conte de troubadour », commente Philippe Auguste.
Il dit que Richard a profité de la trêve pour entreprendre la construction, sur un promontoire qui domine la vallée de la Seine, là où elle dessine un méandre, d’un château disposant de trois enceintes, de murs épais de cinq pas, d’un donjon de trente pas de tour. Ce Château-Gaillard ne peut être conquis et empêche toute invasion de la Normandie.
Philippe Auguste répète ces mots à voix basse comme pour s’en pénétrer, puis il se lève, évoque la défaite qu’il vient d’essuyer en Flandre contre l’un de ses vassaux, le comte de Flandre et de Hainaut, Baudouin IX.
J’étais aux côtés du roi dans ce pays de marécages, encerclé par les Flamands de Baudouin qui avaient ouvert toutes
les écluses afin de nous noyer, nous prendre au piège comme des chiens affolés.
Pour éviter d’être pris, Philippe avait capitulé, accepté les conditions les plus humiliantes. Et avait prêté serment.
Mais, dès qu’il avait été hors de portée des Flamands, il avait renié sa parole.
« Un vassal insurgé n’a pas le droit d’imposer ses conditions », avait-il dit.
Et la guerre est devenue sauvage.
J’ai vu nos routiers, mains liées, jetés dans les rivières et les étangs par les Anglais afin qu’ils s’y noient.
J’ai vu, errant dans les forêts de Normandie, d’autres de nos sergents, les yeux crevés par les soudards de Mercadier et du roi Richard.
Et j’ai entendu Philippe Auguste donner l’ordre de faire de même avec les routiers anglais.
Mais rien n’y fit : le roi Richard l’emportait.
Il nous tenait si court qu’on ne savait comment se retourner. Il était toujours devant nous, et nombre de nos chevaliers se rendirent aux Anglais. Et ceux-ci triomphèrent en écrivant : « Le nombre des prisonniers est immense. On a capturé deux cents chevaux de bataille, dont cent quarante bardés de fer. »
Il fallut traiter. Richard nous consentit une trêve de cinq ans, ne laissant à Philippe Auguste que le château de Gisors et exigeant que Louis, le fils du roi de France, épousât Blanche de Castille, nièce du roi anglais.
Et il fallut traiter à Péronne avec les hauts barons de France
Weitere Kostenlose Bücher