Le Roman des Rois
paix, comme un cheval fourbu, a commencé à boitiller.
Soudoyés, des sergents anglais arrivaient à la cour de France et racontaient comment le roi d’Angleterre, parvenu dans son duché d’Aquitaine, occupait les châteaux de ses vassaux, traitant ses barons comme s’ils avaient été des serfs.
Chaque homme, qu’il fût chevalier ou paysan, était gibier pour Jean sans Terre.
Philippe Auguste écoutait, impassible, les récits de ses espions auxquels il lançait une pièce d’or comme on jette un quartier de viande à ses chiens courants.
Puis le roi donnait des ordres pour que l’on rassemblât routiers, piétons, sergents, chevaliers, et qu’on se préparât à partir en campagne.
Mais à Henri de Thorenc qui s’impatientait, il dit qu’il fallait attendre que le cheval trébuche, qu’il se brise les pattes, se couche sur le côté, le corps couvert de sueur, tremblant de fatigue. Alors il faudrait sortir la dague et l’égorger.
« Le moment est proche », conclut Philippe Auguste.
Après la mort d’Agnès de Méran, le pape avait desserré sa poigne, levé l’interdit sur le royaume.
On pouvait donc reprendre la guerre, répondre à l’appel que lançaient les barons d’Aquitaine, d’Anjou et de Poitou,
contre ce roi d’Angleterre qui montrait la cruauté d’un routier. Il avait enlevé la fiancée d’un de ses vassaux, le fils du comte de la Marche. Il avait épousé à Chinon cette Isabelle Taillefer, jeune fille que l’on disait belle, mais aussi rétive qu’une jument fantasque.
C’était à Philippe Auguste, suzerain du duc d’Aquitaine, de faire juger son vassal qui ne s’était pas conduit en noble chevalier.
J’ai assisté, écrit Eudes de Thorenc, à l’assemblée des barons qui se tint au mois d’avril 1202.
Jean sans Terre ne s’y présenta pas. Chacun connaissait le verdict que l’assemblée allait rendre. Le roi d’Angleterre était accusé d’avoir été, à l’égard de Philippe Auguste, un vassal félon, et, pour ses barons, un suzerain qui ne respectait pas la charte féodale.
La sentence de l’assemblée fut sans appel. Elle annonçait un tournoi à mort.
« La cour de France assemblée déclare que Jean sans Terre, duc d’Aquitaine, roi d’Angleterre, doit être privé de toutes les terres qu’il a, lui et ses prédécesseurs, tenues du roi de France, pour avoir dédaigné de rendre à son suzerain la plupart des services qu’il lui devait comme vassal, et avoir presque constamment désobéi à ses ordres. »
Le roi de France avait sorti sa dague et la levait sur l’encolure du cheval aux pattes brisées.
Quand on plante la lame dans le corps et que le sang jaillit, il ne faut pas que la main hésite.
Celle de Philippe Auguste ne trembla pas.
Il adouba chevalier Arthur, comte de Bretagne, à peine âgé de quinze ans, et lui offrit une troupe de deux cents chevaliers aguerris. Arthur mit le siège devant le donjon de Mire
beau dans lequel s’étaient réfugiés la reine mère, Aliénor d’Aquitaine, et une poignée de routiers.
La victoire de Philippe, qui s’annonçait, parut par trop éclatante à Guillaume des Roches et aux barons. Ils ne voulaient pas d’un comte de Bretagne puissant, allié au roi de France. Ils rallièrent alors Jean sans Terre, lui faisant prêter serment de retenir son glaive, de respecter la vie des personnes qui tomberaient entre ses mains, de traiter son neveu, le comte de Bretagne, avec la bienveillance que l’on doit à un chevalier d’à peine quinze ans.
Jean sans Terre jura.
Et le 30 juillet 1202 il délivra Aliénor d’Aquitaine, captura Arthur de Bretagne et tous ceux qui s’étaient ralliés à lui.
Puis, ivre de puissance, comme un routier aveuglé par le vin, il viola son serment, jeta ses prisonniers dans des cachots, les laissa dévorer par les rats. Et il enchaîna Arthur, son jeune neveu, d’abord au château de Falaise, puis dans la grosse tour de Rouen qui surplombait la Seine.
« J’étais aux côtés de Philippe Auguste, poursuit Eudes de Thorenc, alors qu’il assiégeait en Normandie le château d’Arques et fut informé de ce désastre.
J’ai vu son visage blanchir, ses lèvres trembler, sa colère se déchaîner. Il hurlait, ordonnait qu’on se mît en route et chevauchât à marche forcée jusqu’à Tours.
Nous partîmes et creusâmes dans le vif de ces pays un sillon sanglant, ne laissant sur notre passage que villages, châteaux, monastères brûlés et
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