Le Roman des Rois
qui avaient rallié le roi de d’Angleterre, et leur abandonner Douai, Saint-Omer et Béthune.
C’était le temps de la défaite.
Je crus que Dieu avait en effet bel et bien abandonné Philippe, roi de France.
Puis vint le miracle.
Un chrétien peut-il se réjouir de la mort d’un chrétien ?
Comment Dieu choisit-Il ceux qu’Il appelle à Lui, et dans quel dessein ?
Je prie face au mystère qui m’empêche de répondre à ces questions. Mais je sais que nous accueillîmes la mort de Richard Coeur de Lion, le 6 avril 1199, comme un signe du Tout-Puissant, un miracle.
Le roi Plantagenêt assiégeait avec Mercadier le château de Châlus en Limousin quand il reçut un trait lancé par une arbalète, cette arme diabolique qui tue.
Mercadier fit donner l’assaut et le château fut conquis, tous les assiégés pendus à l’exception du soldat qui avait blessé à mort le roi Richard.
Le Plantagenêt, qui sentait sa vie s’enfuir, voulut voir l’arbalétrier :
– Quel mal t’avais-je fait, pourquoi m’as-tu tué ? lui demanda-t-il.
– Vous aviez bien tué, vous, de votre main, mon père et mes deux frères ! J’ai pris ma revanche. Je souffrirai tous les tourments qu’inventera votre cruauté, pourvu que vous mouriez, vous qui avez fait au monde de si grands maux !
Les chroniqueurs anglais prétendent que le roi ordonna que l’on versât à l’arbalétrier de l’argent et qu’on le laissa libre.
Mais à peine le roi fut-il mort que Mercadier ressaisit l’homme, le fit écorcher vif et accrocher à une potence.
Philippe Auguste exigea que je lui lise le chant du troubadour anglais qui célébrait la mémoire du roi Richard.
« Le roi Richard est mort, et mille ans se sont passés sans qu’il mourût un homme dont la perte fût si grande. Jamais il n’eut son pareil ! Jamais personne ne fut aussi loyal, aussi preux, aussi hardi, aussi généreux. Alexandre, ce roi qui vainquit Darius, ne donna jamais davantage, ni même autant. Je ne crois pas que Charlemagne ni Arthur l’aient valu.
« Pour dire la vérité, il se fit par tout le monde redouter des uns et chérir des autres. »
Au bout de quelques instants de silence, Philippe Auguste lança :
« Moi je suis sain et sauf, je suis vivant et roi de France. »
19.
La mort de Richard Coeur de Lion a marqué la seconde naissance de Philippe Auguste.
J’avais vécu près de lui les trente-quatre années de sa vie. Je lui avais été fidèle. Presque chaque jour, j’avais chevauché avec lui flanc contre flanc, de la Flandre à la Normandie, des vallées des Alpes aux collines dénudées de Terre sainte.
J’avais écrit sous sa dictée et j’avais été à ses côtés lorsqu’il avait rencontré ses barons rebelles ou les rois d’Angleterre, Henri II Plantagenêt et Richard Coeur de Lion.
Maintenant c’était le dernier fils d’Henri II, Jean sans Terre, qui succédait à son frère Richard.
Celui-là avait changé souvent de camp : allié du roi de France contre son père et contre son frère, puis le trahissant.
J’ai entendu Philippe Auguste le traiter de couard, de débauché, de sanguinaire, de déloyal, d’homme cruel dont le mensonge était la seule langue qu’il sût parler.
Ces jugements, Philippe les prononçait sans colère, comme s’il eût égrené de hautes vertus. J’ai mieux compris, alors, ce qui faisait la force du roi de France.
Il avait le regard perçant d’un faucon. Il jugeait sans se laisser leurrer par les apparences ni attendrir par la compassion.
Il était faucon, mais était aussi renard et serpent. Et il avait la résistance et l’obstination des taupes qui s’enfouissent dans la terre et reparaissent tout à coup, pleines de vigueur. L’hiver ne les détruit pas.
J’avais combattu avec lui dans la forêt de Fréteval quand l’Anglais s’était emparé du Trésor royal et des archives capétiennes.
À Gisors j’avais, près de lui, senti le pont sur l’Epte craquer puis se briser sous les sabots des chevaux que nous menions au galop pour fuir l’Anglais.
J’avais été encerclé avec lui dans les marécages de Flandre.
Le roi avait fui, avait eu peur, mais il avait survécu, et c’était Richard Coeur de Lion qui était mort.
Quant à moi, j’étais vieux et c’est mon fils Henri d’à peine vingt ans qui maintenant le servait.
Je découvrais autour de ce fils, dans l’entourage du roi, des hommes nouveaux que le roi avait choisis, devenus ses
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