Le Roman des Rois
cents fantassins brabançons qui ne veulent pas fuir et refusent de se rendre.
J’ai vu le geste de Philippe Auguste ordonnant qu’on les massacre, ce qui fut fait.
La vie d’un piéton ne vaut pas rançon.
Mais le roi de France défend que l’on poursuive les chevaliers et les barons au-delà du millier.
Les prisonniers – cinq comtes, vingt-cinq barons à bannières et des dizaines de chevaliers – sont déjà si nombreux que la valeur de leur rançon baisse. Alors, pourquoi se charger de ces bouches inutiles qu’il faudra surveiller et nourrir ?
Pour la plus grande gloire du royaume de France ? Qui la nie ?
Qui peut l’égaler ?
Personne, parmi le peuple, ne doute du triomphe de Philippe Auguste, le Conquérant.
« Qui pourrait s’imaginer, s’exclame Henri de Thorenc, retracer avec la plume, sur un parchemin ou des tablettes, les joyeux applaudissements, les hymnes de triomphe, les innombrables danses des gens du peuple, les chants suaves des clercs, les sons harmonieux des cloches dans les églises, les sanctuaires parés au-dedans comme au-dehors, les rues, les maisons, les routes dans tous les villages et toutes les villes, tendues de courtines et d’étoffes de soie, tapissées de fleurs, d’herbes et de feuillage vert, les habitants de toute classe, de tout sexe et de tout âge accourant de toutes parts pour assister à un si grand triomphe ?
« Les paysans et les moissonneurs interrompent les moissons. Ils suspendent à leur cou leur faux et leur petite houe. Ils se précipitent pour voir enchaîné ce Ferrand, comte de Flandre, dont, peu auparavant, ils redoutaient tant les armes.
« Les paysans, les vieilles femmes et les enfants ne craignent pas de se moquer de lui, profitant de l’équivoque de son nom qui peut s’entendre aussi bien d’un cheval que d’un homme.
« On crie maintenant qu’il est “ferré”, qu’il ne pourra plus ruer, lui qui, auparavant, gonflé d’orgueil et de graisse, levait le talon contre son maître, le roi de France ! »
Cela se passa sur toute la route, jusqu’à ce qu’on fût arrivé à Paris. Les bourgeois parisiens et, par-dessus tout, la multitude des étudiants, le clergé et le peuple allant au-devant du roi, chantant des hymnes et des cantiques, témoignèrent par leurs gestes et leur attitude extérieure de la joie qui emplissait leur âme.
Le jour ne leur suffisait pas pour se livrer à l’allégresse.
Durant sept nuits de suite, ils illuminèrent de sorte qu’on y voyait comme en plein jour. Les étudiants, surtout, ne cessaient de se réjouir dans de nombreux banquets, dansant et chantant sans s’arrêter.
Qui pouvait douter de l’union, autour du roi Philippe Auguste, de tous les Français de la terre capétienne ?
J’ai accompagné Philippe Auguste et son fils, le prince Louis, en Poitou, ajoute Henri de Thorenc.
Les seigneurs qui avaient rendu dommage à Jean sans Terre ralliaient le roi de France.
Leur nouvelle félonie faisait à nouveau d’eux des vassaux fidèles à Philippe.
J’ai vu le roi les accueillir avec bienveillance.
Il signa même à Chinon, le 18 septembre 1214, un traité de paix avec un envoyé du roi d’Angleterre. Jean sans Terre renonçait à ses possessions dans le royaume de France, à l’exception de la Saintonge et de la Gascogne. Il versait des milliers de pièces d’or et d’argent à Philippe Auguste.
Le roi de France n’exigea rien de plus.
Un roi fort et victorieux est sage quand il n’abuse pas de sa prééminence.
cinquième partie
(1214-1223)
« On rapporte qu’avant de mourir, Philippe appela auprès de lui son fils Louis et lui prescrivit de craindre Dieu et d’exalter son Église, de faire bonne justice à son peuple et surtout de protéger les pauvres et les petits contre l’insolence des orgueilleux. »
H enri de T horenc ,
après la mort de Philippe II Auguste, le Conquérant, survenue le 14 juillet 1223.
33.
« J’avais partagé avec Philippe Auguste les années de guerre », écrit Henri de Thorenc au lendemain de la mort du roi de France, survenue par la volonté de Dieu le 14 juillet 1223, neuf années après le dimanche de Bouvines, ce jour de victoire et de gloire pour le roi conquérant et tout son royaume.
Mon aïeul a tenu une chronique précise de ces dernières années du roi de France :
Philippe II Auguste, le Conquérant, fut sage et donc prudent, poursuit-il.
Moi qui l’avais vu si souvent, en quatre fois dix ans
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