Le Roman des Rois
ans, défié le pape Innocent III. Car il avait besoin de l’alliance danoise et Ingeburge appartenait à la famille royale du Danemark. L’admettre enfin comme reine de France, c’était, espérait le roi, disposer des bateaux de ce pays, capables de transporter les chevaliers français en Angleterre.
Jadis chassée, répudiée, enfermée, Ingeburge était redevenue « sa très chère femme ».
Mais ce revirement, cette soumission au voeu du souverain pontife n’entraîna pas, comme Philippe Auguste l’escomptait, l’appui de Rome.
Le légat d’Innocent III déclara : « L’Angleterre est propriété de l’Église romaine en vertu du droit de seigneurie. »
Ici, Henri de Thorenc fait entendre mieux que je ne saurais le faire la voix tonnante de Philippe Auguste, qui, le visage empourpré, réplique au légat :
« Le royaume d’Angleterre n’a jamais été le patrimoine de saint Pierre ni ne le sera. Le trône est vacant depuis que le roi Jean a été condamné dans notre cour comme ayant forfait par la mort de son neveu Arthur. Enfin, aucun roi ni aucun prince ne peut donner son royaume sans le consentement des barons qui sont tenus de défendre ce royaume. Et si le pape a résolu de faire prévaloir une pareille erreur, il donne à toutes les royautés l’exemple le plus pernicieux. »
Le lendemain, devant l’assemblée des barons et chevaliers, le prince Louis, accompagné de son épouse Blanche de Castille, prend place aux côtés de son père.
« J’ai saisi, écrit Henri de Thorenc, le regard de feu jeté par Louis sur le légat du pape quand ce dernier l’a prié de ne pas se rendre en Angleterre et a ajouté, tourné vers le roi, que Philippe Auguste devait s’opposer au départ de son fils. »
Philippe Auguste répond. Mais Henri de Thorenc n’ose écrire que l’habileté du roi de France cache ici le mensonge :
« J’ai toujours été dévoué et fidèle au Seigneur pape et à l’Église de Rome, déclare le roi de France. Je me suis toujours employé efficacement à ses affaires et à ses intérêts. Aujourd’hui, ce ne sera ni par mon conseil ni par mon aide que mon fils Louis fera quelque tentative contre cette Église. Cependant, s’il a quelque prétention à faire valoir sur le royaume d’Angleterre, qu’on l’entende et que ce qui est juste lui soit accordé ! »
Philippe Auguste a deux langues dans la bouche.
Il sait fort bien que l’épouse de Louis, Blanche de Castille, est nièce de Jean sans Terre, et qu’elle peut prétendre à une part de l’héritage Plantagenêt. Et nul n’est dupe quand, tête baissée, il écoute Louis lui dire sur le ton d’une déférente protestation :
« Seigneur, je suis homme lige pour le fief de l’Artois, mais il ne vous appartient pas de rien décider au sujet du royaume d’Angleterre… Je vous prie de ne vous opposer en rien à la résolution que j’ai prise d’user de mon droit, car je combattrai pour l’héritage de ma femme jusqu’à la mort s’il le faut ! »
Puis Louis se lève et s’en va avec son épouse et ses chevaliers.
Furieux, le légat demande au roi un sauf-conduit jusqu’à la mer.
– Je vous le donne volontiers pour la terre qui m’appartient, répond le roi de France. Mais, ajoute-t-il en souriant, si par malheur vous tombez entre les mains d’Eustache le Moine ou des autres hommes de mon fils Louis qui gardent la mer, vous ne me rendrez pas responsable des choses fâcheuses qui pourront vous arriver.
Le légat, qui sait qu’Eustache le Moine est un pirate au service du royaume de France, se retire tout en colère.
Philippe Auguste se soucie comme d’une guigne de l’indignation du légat. Il n’imagine pas qu’on va le croire quand il prétend saisir le fief d’Artois, qui appartient à Louis mais dont il est le suzerain. Il veut seulement sauver les apparences. Il pourra dire qu’il châtie Louis pour ses ambitions anglaises.
Mais il laisse son fils réunir douze cents chevaliers, tous hommes du roi, tous héros du dimanche de Bouvines.
Louis lève au nom du roi une taxe de guerre qui remplit ses coffres et lui permet de recruter sergents et chevaliers « soldés ».
Le prince et son armée peuvent débarquer, le 21 mai 1216, et entrer dans Londres.
« J’ai vu le roi heureux, écrit Henri de Thorenc. Le pape avait excommunié Louis, mais les barons et évêques anglais s’étaient ralliés à lui. »
Cependant, le sort des hommes est comme
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