Le Roman des Rois
avait légitimé.
Renaud était ainsi dépossédé de ses fiefs au bénéfice d’un Capétien, et privé de liberté.
Sur ordre de Philippe Auguste, j’ai rendu visite à Renaud de Dammartin dans son cachot du château de Péronne, puis dans celui du château de Goulet, en Normandie.
J’ai rapporté au roi ce que j’avais vu : un homme à la peau grise, au regard brillant de haine et de fièvre.
Renaud de Dammartin était rivé à la muraille par une chaîne longue seulement d’un demi-pas. Au milieu de cette chaîne s’en rattachait une autre de dix pieds de long, fixée à un tronc d’arbre que deux hommes auraient pu à peine porter.
– Il vit comme doit vivre un vassal félon, a dit Philippe Auguste.
Personne n’a osé demander grâce pour Renaud de Dammartin. Je me suis tu, moi aussi, alors que ma voix eût peut-être fléchi le roi de France.
Mais notre silence condamnait Renaud de Dammartin à l’emmurement.
Point de liberté non plus pour Ferrand, comte de Flandre.
Il était « ferré » dans l’un des cachots de la tour du Louvre où, sur ordre du roi, je l’allais visiter chaque mois.
J’ai vu le corps de Ferrand se couvrir de pustules qu’il tentait d’arracher comme s’il avait voulu se débarrasser d’une
écorce moisie. Un sang aussi noir que ses ongles perlait au long de chaque griffure.
À mon retour, le roi m’interrogeait d’un simple haussement de sourcils. Je répondais d’une inclinaison de tête. Ferrand survivait comme un arbre qu’on laisse pourrir, et c’était ce que souhaitait le roi. Point de coup de hache sur la nuque des vassaux félons, mais le poids des chaînes et l’oppression d’une nuit que ne vient interrompre aucune aube.
Quant aux fiefs, villes et seigneuries du félon, ils tombent entre les mains du roi de France, les fortifications sont détruites, les fossés comblés, les enfants gardés en otages. Et la vie du prisonnier reste soumise au bon vouloir du roi : « Il sera fait du comte de Flandre selon la volonté du vainqueur, libre de lui accorder ou non la permission de se racheter. »
Je salue cette puissance mesurée de Philippe Auguste, mon suzerain.
Sa gloire flamboie et éclaire tout le royaume, pareil à la nef de la cathédrale de Chartres, haute et claire.
Le roi a versé deux cents livres, le coût de huit piliers, pour que la cathédrale honore par sa beauté, sa nef et ses flèches, ses arcs-boutants et ses vitraux, Dieu notre Seigneur dont le roi de France Très Chrétien est le chevalier.
Il est, je le proclame, fils de Charlemagne ; il est plus grand, plus glorieux qu’Alexandre et que César. Le Macédonien n’a triomphé que pendant douze ans, le Romain pendant dix-huit, tandis que lui, le Capétien, a vaincu ses ennemis pendant trente-deux ans, sans interruption.
Philippe II Auguste est bien Philippe le Conquérant.
34.
Henri de Thorenc le proclame ainsi dans sa chronique : Philippe Auguste mérite le nom de Conquérant.
Mais Henri, mon aïeul, fidèle vassal de Philippe, hésite à dévoiler les intrigues et les calculs de son roi. Il écrit avec prudence, craint la colère de Philippe dont il connaît les accès de violence. Il ne veut pas être enfoui dans un des cachots de Péronne ou de la tour du Louvre.
Philippe Auguste est mort en 1223, et son fils Louis VIII en 1226. J’écris en cette année 1322. Le temps a coulé. J’ai l’audace de celui que protège l’armure des années.
Moi, Hugues de Thorenc, je puis donc dire à voix plus forte que Philippe voulait conquérir le royaume d’Angleterre, et que cette fois il avançait caché par son fils Louis.
Il faisait mine de le désavouer mais, en fait, le soutenait et même suscitait ses ambitions.
Philippe Auguste oeuvrait pour sa lignée capétienne.
En 1214, glorieuse année de Bouvines, Louis lui avait donné un petit-fils qui porterait lui aussi le nom de Louis, le Neuvième. Devenu roi de France, Louis IX le Juste sera même sanctifié.
La lignée était ainsi assurée de son avenir ; afin d’accroître sa puissance, encore fallait-il augmenter le domaine royal.
Telle était la raison majeure de la conquête de l’Angleterre et du projet d’asseoir sur le trône de Londres Louis le Huitième, futur roi de France comme son fils aîné, Louis IX.
Pour la réussite de cette entreprise, Philippe Auguste accepta tout à coup de renoncer à ce divorce d’avec la reine Ingeburge pour lequel il avait, durant deux fois dix
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