Le Roman des Rois
décocher leurs flèches contre Blanche de Castille. »
Mon père ferma le poing.
« Qu’ils brûlent en enfer, ceux qui, calomniant la régente, trahissaient leur roi ! »
La voix de mon père avait la force du tonnerre quand l’orage a enfin éclaté et que le ciel est si bas qu’il recouvre la terre d’un linceul noir. Il s’emportait :
On ne rappelait pas tous les tournois de guerre que Blanche de Castille avait gagnés contre Raimond VII de Toulouse, humilié, contre Philippe Hurepel, comte de Boulogne, contre Pierre Mauclerc, comte de Bretagne, et contre bien d’autres seigneurs de plus petite taille.
On oubliait qu’elle avait renforcé le pouvoir du roi de France.
On l’accusait au contraire de retarder le mariage de son fils de quinze ans afin de le maintenir sous sa tutelle.
On prétendait qu’elle l’entourait d’Espagnols et de clercs à sa solde. Qu’elle écartait les barons de France, puisait dans le Trésor royal et envoyait des coffres emplis d’or au-delà des Pyrénées.
Pis encore, on composait des chansons qui l’injuriaient, assurant qu’elle était en commerce charnel avec le comte Thibaud IV de Champagne et avec le légat du pape, Romain Frangipani, cardinal de Saint-Ange, un démon.
Les clercs de l’université de Paris, les plus ardents, écrivaient : « On nous dépouille, on nous enchaîne, on nous noie, c’est la lubricité du légat qui nous vaut cela ! »
On l’accusait même d’être grosse du légat !
Et elle dut se montrer en chemise pour confondre la calomnie. Mais les félons ne désarmaient pas :
Bien est France abâtardie
Seigneurs barons, entendez
Quand femme étrangère l’a en baillie
Et telle est comme vous savez.
On invectivait Thibaud de Champagne, on l’accusait d’être l’ami de coeur et de corps de Dame Avaricieuse, cette Madame Blanche, et d’avoir, pour assouvir ses désirs, empoisonné le roi Louis VIII.
« Un tel homme devrait-il avoir des seigneuries, des châteaux ? Seigneurs, qu’attendez-vous pour en finir avec un tel galant, négligé, boursouflé, avec sa grosse panse ? Thibaud est un bâtard, un félon, plus expert en philtres qu’en chevalerie ! »
Et l’on s’en prenait aux barons pour les inciter à agir contre Blanche de Castille :
« Ils sont trop lents à commencer, disait-on. Ils ont laissé passer le beau temps, et maintenant il va pleuvoir. Et quand ils s’en vont à la cour de la Dame étrangère, soi-disant brouillés avec elle, sachez qu’ils laissent toujours en arrière quelques-uns des leurs pour arranger la prolongation des trêves… »
45.
Les trêves entre les barons et la régente ?
Mon père ricane : les barons, dit-il, ne faisaient pas une guerre de chevaliers, ils étaient pareils à des routiers en maraude.
Lorsque, au mois de janvier 1230, tous se liguèrent contre Thibaud IV de Champagne parce qu’il était vassal fidèle du roi, ce fut pour brûler les villages, dévaster les récoltes en Lorraine. Quant aux Picards et aux Bourguignons, ils incendiaient tout dans les pays par où ils passaient. On s’affrontait peu entre chevaliers, évitant de s’entre-tuer, mais on foulait aux pieds les serfs et leurs pauvres masures.
Quand le roi exigea des barons qu’ils quittent la Champagne, Philippe Hurepel, qui avait pris la tête de la coalition, annonça qu’il ralliait le camp du souverain.
C’est avec jubilation que mon père me fit le récit de la volte-face de Philippe Hurepel telle que les chroniqueurs l’avaient rapportée :
– Par ma foi, dit Hurepel, le roi est mon neveu, et je suis son homme lige. Sachez que je ne suis plus de votre alliance, mais que je serai désormais de son côté, avec tout mon loyal pouvoir.
Quand les barons l’entendirent parler ainsi, lui, leur chef, ils s’entreregardèrent, stupéfaits, et lui dirent :
– Sire, vous avez mal agi envers nous, car vous ferez votre paix avec la reine, et nous perdrons notre terre.
– Au nom de Dieu, leur dit Hurepel, comte de Boulogne, mieux vaut folie laisser que folie poursuivre !
Hurepel conclut une paix avantageuse avec les comtes de Flandre et de Champagne, et soutint les projets de la régente.
« La reine Blanche, conclut mon père, savait bien aimer et haïr ceux et celles qui le méritaient, et récompenser chacun selon ses oeuvres. »
Les barons l’éprouvaient.
Tel d’entre eux disait piteusement : « La reine Blanche a dit qu’elle me
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