Le Roman des Rois
Louis.
J’ai vu comme il voulait purifier le royaume afin que le Très-Haut apportât sa protection aux croisés.
Je l’ai entendu demander que les riches remplacent leurs habits de soie par des vêtements austères.
« Il faut se nourrir et se vêtir modestement », disait-il.
Il veilla à ce que l’interdit jeté par l’Église sur les tournois pendant trois années fût appliqué. De même, les guerres entre chrétiens devaient cesser durant quatre années.
« Secondez-moi ! lança-t-il lors d’une assemblée de seigneurs et de chevaliers. Aidez-moi à chercher la véritable gloire ! Le Dieu qui m’envoie en Asie pour défendre Son héritage défendra celui de mes enfants et répandra Ses bénéfices sur la France. »
Il avait saisi les mains de Blanche de Castille et ajouta :
« N’avons-nous pas encore celle qui fut l’appui de mon enfance et le guide de ma jeunesse, celle dont la sagesse a sauvé l’État de tant de périls et qui, en mon absence, ne manquera ni de courage ni d’habileté pour combattre les factions ?
« Dieu, qui m’a fait vaincre les Anglais et les félons à Taillebourg, confondra les desseins et les complots de nos ennemis. »
53.
Louis ne se voulait pas d’ennemis parmi les chrétiens, dit mon père. Il avait fait voeu de croisade et espérait que du plus humble de ses sujets au plus titré des riches, tous se rassembleraient pour aller défendre l’héritage du Christ, cette Terre sainte à laquelle il pensait à chaque instant.
Mon père s’interrompit, me fit signe de me pencher vers lui et murmura :
– Tu apprendras, Hugues de Thorenc, qu’une vie ne suffit pas à connaître ses ennemis.
J’étais ému, car il me nommait rarement et, ce jour-là, au contraire, il ne cessa de répéter mon nom.
– Hugues, je vais te confier ce que je sais de confidence du roi lui-même, qui ne me fit pas prêter serment de conserver ce qu’il me disait pour moi seul.
Mon père sourit et hocha la tête :
– En te parlant, Hugues de Thorenc, ce n’est pas à toi que je parle, mais à ma chair et à mon sang.
Le roi de France, me dit-il, refusait de prendre parti dans la querelle qui opposait l’empereur germanique Frédéric II et le pape Innocent IV.
Dès le mois de décembre 1244, le souverain pontife s’était réfugié à Lyon, craignant que les hommes de Frédéric ne s’emparent de lui s’il restait en Italie.
Il voulait la protection du roi de France.
Louis le rencontra au monastère de Cluny en novembre 1245.
Je n’assistai pas à l’entretien. Le roi n’était accompagné que de la reine Blanche de Castille, de son frère Robert et de sa soeur Isabelle.
Il obtint la bénédiction du pape pour le mariage du plus jeune de ses frères, Charles d’Anjou, avec Béatrice de Provence, ce qui allait faire du royaume de France le plus grand riverain de la Méditerranée, mer des croisés. Et, peu après, il adouba chevalier le même Charles d’Anjou.
Mais, malgré ce gain pour le royaume, je lus sur le visage de Louis l’empreinte de la déception. Il prit mon bras et nous marchâmes ainsi, seuls, dans le cloître du monastère.
Le pape, me dit-il, ne veut pas annuler l’excommunication qu’il a lancée contre Frédéric II.
Je l’ai supplié de prendre en considération l’humiliation de l’empereur, de pardonner à celui qui demandait pardon, de lui accorder la faveur de la réconciliation, enfin d’ouvrir à un pécheur repentant le sein de la piété paternelle. Il a refusé. Je n’ai pas trouvé en lui l’humilité que j’avais espéré rencontrer dans le serviteur des serviteurs de Dieu.
Louis s’est arrêté, me faisant face :
Le pape est aussi fermé que l’est Frédéric. J’ai dit à ce dernier : le royaume de France n’est pas encore si affaibli qu’il se laisse mener à vos éperons. Et j’ai dit au pape : je crains bien qu’après mon départ, des embûches hostiles ne soient préparées sous peu contre le royaume de France à cause de votre inexorable dureté. Si l’affaire de la Terre sainte éprouve des embarras, c’est sur vous qu’en retombera la faute.
Louis, qu’on appelait « roi papelard », roi dévot, avait osé, dans l’intérêt du royaume et de la Chrétienté, parler ainsi au pape, successeur de l’apôtre Pierre.
Souviens-toi de cela, Hugues de Thorenc !
Mon père me raconta les derniers jours précédant le départ pour Aigues-Mortes, et ce grand moment que fut,
Weitere Kostenlose Bücher