Le Roman des Rois
le 26 avril 1248, la consécration solennelle de la Sainte-Chapelle, cette merveille digne du trésor divin et royal, ces reliques qu’elle abritait.
Lorsque j’ai assisté à cette première messe, me dit-il, l’émotion m’a inondé.
Cette chapelle aux deux sanctuaires situés l’un au-dessus de l’autre, avec cette lumière tamisée par d’immenses vitraux, songe, Hugues, au roi qui en eut la vision, et aux hommes qui l’élevèrent comme un immense reliquaire construit à la gloire et en souvenir du Christ.
Cette consécration de la Sainte-Chapelle, au printemps de 1248, fut comme une bénédiction donnée à la croisade, ce voeu du roi de France, Louis IX.
54.
Le vendredi 12 juin 1248, j’ai vu le plus puissant des rois de la Chrétienté recevoir comme un humble pèlerin le bourdon et la besace.
J’étais agenouillé comme lui dans l’abbaye de Saint-Denis. Louis a saisi l’oriflamme aux fleurs de lis, puis a rejoint Notre-Dame pour y suivre la messe.
Nous avons communié.
Et Louis, marchant pieds nus, comme un pénitent, a pris la tête d’une procession suivie par tout le peuple, et nous nous sommes rendus à l’abbaye royale de Saint-Antoine-des-Champs.
Ainsi a commencé la croisade de notre grand roi.
Mais il était devenu le pèlerin et le pénitent, le chevalier du Christ. Il n’était plus vêtu richement. Il portait des vêtements modestes, de « bleu et de pers, de camelot ou de noire brunette ou de soie noire ».
Point d’or et d’argent pour orner la selle de son cheval. Et ses éperons n’étaient plus dorés, mais de simple fer.
Nous avons chevauché jusqu’au palais royal de Corbeil. Le roi était entouré par ses frères Robert d’Artois et Charles d’Anjou et par leurs épouses ; la reine Marguerite se tenait près de lui, et tous devaient accompagner le roi en Terre sainte.
La reine Blanche de Castille était d’une extrême pâleur. Et on dut la soutenir quand elle se sépara du roi après l’avoir embrassé, car elle défaillit.
Elle allait gouverner le royaume et veiller sur les trois fils aînés du souverain.
Nous nous sommes dirigés vers Sens, et le roi décida de faire la dernière partie du chemin à pied, comme un pénitent, un pèlerin.
Ses frères et bien des chevaliers – je fus du nombre – marchèrent à ses côtés.
Le roi était le plus humble d’entre nous et il entra avec besace et bourdon au cou dans l’église des Franciscains.
Il s’agenouilla devant l’autel et pria.
Quand il sortit de l’église et s’arrêta sur le seuil, j’étais encore à côté de lui. On lui offrit de la part du trésorier de l’Église de Sens un grand brochet qu’on lui montra vivant dans l’eau d’un bassin en bois de sapin que les Toscans appellent bigonca , dans lequel on lave et baigne les bébés au berceau.
Le roi remercia aussi bien le messager que le donateur.
Mon père s’est interrompu et sourit, les yeux mi-clos, comme s’il rêvait, à demi ensommeillé.
Ce jour-là, reprit-il, les frères franciscains nous offrirent un grand banquet, et le roi voulut prendre les dépenses à son compte. Lui qui faisait souvent pénitence, versant de l’eau dans ses sauces et son vin, s’assit au milieu des frères qui voulaient vivre sa présence parmi eux comme une fête, un moment de grande joie.
Le roi picora, mais sans rechigner, heureux, je le lisais sur son visage, de cette joie franciscaine simple et pleine d’élan.
Nous eûmes d’abord des cerises, puis du pain très blanc et du vin digne de la munificence royale, abondant et excellent.
On força à en boire ceux qui s’y refusaient, mais sans brusquerie, dans un grand mouvement fraternel.
Puis il y eut des fèves fraîches avec du lait d’amande et de la poudre de cannelle, des anguilles rôties avec un excellent assaisonnement, des tartes et des fromages servis dans de petites corbeilles d’osier, des fruits en abondance.
J’ai observé mon père qui dégustait chaque mot, le gardant longtemps en bouche comme s’il voulait retrouver le plaisir qu’il avait éprouvé autrefois, en cet été de l’an 1248.
« Tout cela fut servi courtoisement et avec soin », ajouta-t-il ; puis, après un silence : « Les frères franciscains, connaissant l’humilité du roi, avaient exclu les viandes de leur festin. »
Mon père a-t-il senti que je trouvais ce repas fastueux plutôt inattendu alors que Louis, selon ses propres dires, souvent jeûnait et se
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