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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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d’une moustache vaguement blonde. Et, comme pour former contraste avec la virilité porcine de son menton, ses sourcils droits dessinaient au-dessus de ses fortes arcades un trait trop mince. Ils ressemblaient à ceux d’une femme.
    Une foule de chevaliers français s’était assemblée près de la barrière pour les regarder partir. Sam se joignit à eux.
    L’un des Anglais se détacha soudain de la file. Il fit volte-face et revint, par défi, heurter sa lance contre la barrière. Les chevaliers applaudirent ce geste dont ils virent la bravoure, mais pas l’outrage qu’il représentait. Ils laissèrent l’Anglais rebrousser chemin en dépit de son coup de lance qui constituait ni plus ni moins que la désacralisation de murailles jugées inviolables. Ce fut la riposte d’un boucher qui, lui, avait décidé de réagir à l’injure, qui rappela les chevaliers à leur devoir. La bravade de l’Anglais lui coûta un coup de hache qui lui fut fatal. Après quoi, ils se mirent à quatre pour frapper le défunt, pour le profaner à son tour. On autorisa tout de même les seigneurs anglais à venir le ramasser pour l’ensevelir en Terre Sainte.
    — La guigne les a rendus non seulement malhabiles, mais écervelés, dit Sam à son voisin.
    — Ouais. Quoi que l’on fasse, les Anglesches ne seront jamais faits pour s’entendre avec nous autres, Méridionaux. Ils sont trop ennuyeux. On dirait que, depuis Maupertuis (4) , ils ne sont plus capables d’admettre les vexations d’une défaite.
    Sam ne le démentit pas. Il avait côtoyé des Anglais suffisamment longtemps pour constater qu’ils étaient encore plus incommodes à vivre comme compagnons que comme ennemis. Il leur préférait de loin le flamboyant Seyton, un compatriote qui, lui, au moins, s’était démarqué en ayant le cœur de ferrailler contre des hommes, et non contre des murs. Il soupira et dit :
    — En tout cas, moi, je m’en vais. Je n’ai plus rien à faire à Paris. Les femmes d’ici ne me réussissent pas et j’en ai marre des espérances bretonnes* de Du Guesclin.
    De plus, il n’aimait pas les grandes cités. Il en avait vu suffisamment pour s’en convaincre. Celles d’Espagne, surtout, avaient produit sur lui le même effet que Paris. Il y avait trop de tout : trop de saleté, trop de bêtes qui traînaient dans le moindre recoin, trop de maisons, trop de rues, et trop de monde dans ces rues. La promiscuité bruyante l’irritait. « Mais je dois bien convenir qu’avec l’âme vide comme je l’ai, aucun autre endroit ne saurait être plus approprié. Ça meuble mes pensées, ça m’étourdit », se dit-il in petto.
    Il se prit à imaginer, parmi les fumées âcres de l’allée qu’il venait de parcourir, la pimpante simplicité du hameau de son enfance : une poignée d’habitations se pelotonnant comme une grosse fourmilière autour d’une placette où murmurait l’eau glacée d’une vieille fontaine. Là-bas, tout était propre et frais. Il songea au domaine qui surplombait la colline où, enfant, il avait passé des heures à jouer au chevalier avec son amie Jehanne.
    Il arriva presque à se persuader que Paris l’étrangère ne l’entourait plus, que rien de tout ce qui lui était advenu ne s’était produit, que ce n’était qu’une fable et que, le lendemain, il allait s’éveiller pour voir les villageois barbus s’en aller aux champs comme d’habitude. Il allait revoir le pré qui, tout récemment encore, avait dû fleurer bon le foin nouvellement fauché ; l’aire avait dû être çà et là émaillée de meules assoupies telles des bêtes lourdaudes. Il sentit à nouveau comment, quelquefois, au gré de l’élan capricieux et changeant de la brise naissante, l’entêtante senteur d’une mer proche mais invisible venait s’amalgamer à celle du fourrage chauffé par le soleil de la journée. Il songea aux jours où il allait s’asseoir un peu plus loin en bordure du pré, au pied de ses vieux arbres, ses préférés, sur les ruines d’un muret en pierres sèches qui s’était jadis effondré à cause des racines. Alors, la brise tiède, qui savait toujours l’attendre et le rejoindre, se levait de nouveau pour murmurer entre les branches s’étendant au-dessus de sa tête. Il avait toujours aimé ces arbres, deux pins qui avaient poussé si près l’un de l’autre qu’au fil des ans, leurs branches s’étaient entremêlées de façon inextricable. Il fallait y regarder à deux

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