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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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figé sur place par le refrain, profita de la distraction des autres pour s’effacer dans la cuisine.
    — Jehanne, dit-il en lui faisant signe.
    Elle hésita imperceptiblement avant de le suivre. Il ferma sur eux deux la porte à battants.
    — Ça, par exemple ! On dirait bien que c’est la quête de l’aguilaneuf (8) , comprit soudain le père Lionel.
    — Quoi, pas déjà ? dit Thierry.
    — Mais qui c’est qui a bien pu arriver à faire picoler l’Hubert comme ça, je me le demande, remarqua Toinot, une note d’amusement dans la voix.
    — Dame Jehanne ! Maître ! Que faites-vous donc ? appela Blandine joyeusement. Sans vous commander, venez ! Venez vite voir !
    We are not daily beggars
    That beg from door to door,
    But we are neighbours’ children
    Whom you have seen before (9) .
    Jehanne seule émergea de la pénombre pour s’avancer lentement jusqu’à la porte, comme toute bonne hôtesse était tenue de le faire. Les domestiques s’écartèrent. Son visage était pâle sous sa coiffe empoussiérée par l’usure, et une humidité suspecte sur ses joues semblait avoir été essuyée en hâte.
    Le chant se termina et les masques tombèrent. Le joueur de rebec* leur était inconnu. C’était un grand brun dont la longue barbe avait été soigneusement dissimulée sous son cache-nez. Tout le monde reconnut l’autre, cependant. L’amas de soie filasse dévoila un visage espiègle et des boucles rousses que des brins de neige curieux s’empressèrent de venir visiter.
    — Mazette ! Je vous dirais qu’Hubert sait chanter en anglais mieux que moi ! Allez, mon vieux, bois un bon coup. Tu l’as bien gagné !
    Avec désinvolture, il fourra un flacon entre les bras du meunier, avant de s’incliner bas devant Jehanne que la surprise fit haleter.
    — Mes hommages, gente dame.
    Il y eut un moment de silence embarrassé dont il refusa d’admettre l’existence.
    Sam avait beaucoup changé. Il arborait fièrement une barbe courte aux reflets dorés qui semblait douce comme un duvet. C’était un homme fait pour les caresses. Il assena à son compagnon une grande claque dans le dos.
    — Voici Iain, un bon ami à moi. Père anglais, mère écossaise. Il ne doit pas y en avoir plus d’une centaine comme lui de par toute la Grande Île*. Il ne comprend à peu près rien de ce que l’on raconte ici, mais les Anglais, eux, il les a fort bien compris. On peut dire qu’il a rendu de fiers services à Du Guesclin, même s’il ne le sait pas encore. Dat virtus quod forma negat (10)  ! Eh bien, quoi ! La bise vous a-t-elle tous frigorifiés sur place ? Mais réchauffez-vous donc, que diable !
    Il arracha son flacon des mains d’Hubert et le lança à Thierry, qui l’attrapa.
    — Nous ne sommes pas venus ainsi à l’improviste en ce château de Crèvecœur pour faire un charivari*, même si l’envie ne me manque pas, mais pour vous divertir. Pour notre peine, nous ne vous demanderons qu’un bon souper et le plaisir de votre compagnie.
    Il s’inclina de nouveau et chancela tant qu’il perdit l’équilibre et plongea tête première dans la congère qui s’élevait à sa droite. Les serviteurs éclatèrent de rire. Sam se releva, son bonnet planté tout de travers sur le dessus de la tête et la figure pleine de neige. Il se mit à mâchonner d’un air niais un brin de menthe sauvage séché pour se donner bonne haleine. Cette fois, même Jehanne ne put s’empêcher de rire comme les autres, malgré l’angoisse qui lui serrait la gorge. Alors qu’elle suivait le groupe qui s’entassait dans la pièce à vivre toute pimpante, elle jeta un coup d’œil du côté de la porte à battants. Elle était restée close. Louis n’avait pas quitté la cuisine.
    — Hum, ça sent la Noël ici, ma fille, dit à Jehanne le père Lionel.
    Tous deux restaient à la traîne tandis que des conversations animées se télescopaient au-dessus des têtes des autres. Lui aussi avait remarqué la porte fermée.
    — Louis doit être en train de nous mijoter quelque chose de spécial, dit Jehanne.
    — Voilà en effet de quoi nous mettre en appétit. Mais, tu sais, ce n’est pas exactement cela que je voulais dire.
    — Je sais, mon père, je sais, dit-elle en souriant.
    Ils regardèrent tous deux en direction de Sam, qui venait d’entreprendre une gigue qu’il enrichit de ses propres improvisations au son du rebec* et de battements de mains. Il tâcha de ne pas se montrer trop réjoui de

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