Le salut du corbeau
Chapitre I
Noli me tangere
(Ne me touche pas)
Poussière.
Ô mon bien-aimé,
si le feu de ton amour
peut se passer de moi,
quittons-nous !
Là, sur-le-champ !
Je m’en vais !(…)
Rompue de fatigue,
je marche… vers toi.
(Extrait d’un chant bâul)
Paris, automne 1370
Les Anglais étaient las de la guerre. Ils étaient allés se battre en Espagne pour rien. La plupart étaient revenus de là-bas bredouilles et malades. De retour en terre de France, qu’ils avaient pillée en guise de compensation, ils avaient tenté en vain d’assiéger Paris. Le jour où ils consentirent enfin à se retirer au grand soulagement des bourgeois, une veuve aisée décida elle aussi de faire le ménage et flanqua son jeune amant à la porte.
— Mais je ne suis pas anglais, dit-il.
— Pour moi, c’est tout pareil. Tu n’es qu’un pleutre. Ton pillage, c’est à la taverne que tu le fais. Je n’ai plus un sou vaillant. File. Va-t’en te joindre aux nôtres et rends-toi utile.
Elle lui fourra son bissac dans les bras et lui claqua sa porte au nez.
Morose, Sam erra de par la ville. C’était aussi bien. Il avait envie de partir depuis un bon moment déjà, mais n’avait su comment annoncer la chose à sa concubine ombrageuse. « Voilà toujours bien une chose de réglée. Mais que faire, maintenant ? Me joindre aux nôtres… et puis quoi encore ? Elle en a de bien bonnes ! »
Se retrouver en plein cœur de Paris à l’orée de sa vingtaine n’est pas nécessairement le rêve de tout le monde. En tout cas, ce n’était certes pas celui de ce jeune homme qui ne savait plus trop où il en était. Trop orgueilleux, cependant, pour demander de l’aide, il secoua la poussière de son kilt aux splendides coloris. Ce vêtement contribuait, plus que n’importe quel état d’esprit invisible, à faire de cet individu quelqu’un qui n’était pas à sa place dans cette ville. Trois gamins ricaneurs mais impressionnés le suivaient de loin en échangeant force hypothèses sur qui il pouvait bien être.
Ces quatre dernières années avaient beaucoup changé Sam. Le garçon d’écurie avait été laissé loin derrière pour céder sa place à un homme. Par nécessité, le temps avait modelé en lui le pillard, à défaut d’autre chose. Or, il se sentait maintenant inutile, désarmé.
Dès le lendemain des noces de Jehanne, il avait pris la route malgré son retard pour tenter de rallier les compagnies de routiers que Du Guesclin (1) avait eu charge de mener vers l’Espagne, dès l’automne 1365, en passant par Auxerre.
Parmi la troupe de routiers sans gloire mais bien nourrie qu’il était parvenu à rejoindre, car elle était revenue d’Espagne avant les autres, Sam n’avait attendu qu’une occasion de se démarquer par quelque action d’éclat. Mais il n’avait rien pu faire de notable, sinon se défendre correctement au besoin et prendre sa part de butin. C’était loin de suffire pour satisfaire l’ambition du jeune homme. Il aurait voulu que Du Guesclin le remarque et lui parle, qu’il l’encourage d’une claque amicale sur l’épaule, qu’il le prenne sous son aile pour le présenter au roi. Mais rien de cela n’était arrivé. Sam n’avait pu apercevoir le Breton que de loin et il n’avait jamais vu l’ombre d’un monarque.
Une fois les Anglais aux portes de Paris, le roi de France n’avait pas ordonné d’attaque ; il s’était contenté d’observer la tentative de siège depuis les fenêtres de son hôtel Saint-Paul où il logeait, sans s’émouvoir. Des conseillers lui avaient dit : « Sire, vous n’avez que faire d’employer vos gens contre ces enragés ; laissez-les se fatiguer d’eux-mêmes. Ils se sont rabattus sur des fruits trop verts. Par l’œuvre de ces aliments en apparence si innocents, la courante* (2) remplace dans leurs rangs les ravages du fer. Ils crèvent en foule et ne vous mettront pas hors de votre héritage, avec toutes ces fumières*. »
« Peut-être devrais-je me faire hanouard* pour être enfin en mesure d’approcher le roi de France un jour », s’était dit Sam avec amertume.
Au lieu d’un roi, il aperçut fortuitement le redoutable Édouard de Woodstock (3) à la sortie de la barrière Saint-Jacques, alors que les Anglais avaient enfin résolu de vider les lieux. Il portait mal ses quarante ans que la guerre et les abus avaient alourdis. Son gros visage sanguin au front presque fuyant s’ornait d’une barbe drue et
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