Le soleil d'Austerlitz
explique Napoléon, prouver à l’Europe que je m’enfonçais franchement dans le système pacifique et que je me reposais sur l’amour des Français. »
Mais un homme comme lui sait tout cela, ou ne se paie pas de mots.
— Vous vous en doutiez ? interroge Napoléon.
Naturellement, Fouché acquiesce, demande à présenter un mémoire sur la situation politique et l’emploi des fonds secrets de son ministère.
Napoléon l’écoute parler des périls qui subsistent, de la « coterie d’eunuques politiques qui au premier ébranlement livrerait l’État aux royalistes et à l’étranger ».
Napoléon le fixe. Cet homme est résolu. Il donne une impression de force. Il annonce maintenant qu’il reste dans sa caisse secrète deux millions quatre cent mille francs.
— Citoyen sénateur, dit Napoléon, je serai plus généreux et plus équitable que ne le fut Sieyès à l’égard de ce pauvre Roger Ducos en se partageant devant moi le gras de caisse du Directoire expirant. Gardez la moitié de la somme que vous me remettez ; ce n’est pas trop, comme marque de ma satisfaction personnelle et privée ; l’autre moitié entrera dans la caisse de ma police particulière qui, d’après vos sages avis, prendra un nouvel essor et sur laquelle je vous prierai de me donner souvent vos idées.
Il ne faut jamais cesser d’être sur ses gardes.
Le nouveau chef de la Police politique, Desmarets, vient d’annoncer la capture à Calais d’un prêtre, l’abbé David, qui, tremblant de peur, a avoué servir d’intermédiaire entre le général Moreau et le général Pichegru exilé en Angleterre. Desmarets a cru bon de relâcher l’abbé David, afin de le faire suivre. Mais ses espions seront-ils aussi efficaces que ceux de Fouché ?
C’est Londres, comme chaque fois, qui sert de refuge aux plus déterminés des ennemis, et sans doute les Anglais leur donnent-ils les moyens d’agir. La question revient, hante Napoléon : « Sommes-nous en paix, ou est-ce seulement une trêve ? »
Il a décidé qu’il donnerait chaque 15 du mois un grand dîner. Il y invite des artistes, des fabricants, des diplomates. Le 15 octobre 1802, il présente à Fox, un parlementaire britannique, et à lord Holland trois manufacturiers : Bruguet, Mont-golfier, Touney, qui viennent de participer à l’Exposition de l’industrie nationale et qui ont obtenu une médaille d’or.
Puis, durant le dîner, il interroge Fox, qui est assis à sa droite. Que veut l’Angleterre ? demande-t-il. Pourquoi laisse-t-elle le comte d’Artois, frère de Louis XVI, passer en revue un régiment, alors que Londres ne reconnaît plus cette monarchie, puisqu’elle traite avec la France consulaire ?
Fox se dérobe. Il est partisan de la paix, mais n’est-il pas l’un des seuls ?
Faudra-t-il à nouveau faire la guerre, alors que la paix commence à peine et que, comme chaque citoyen de ce pays, j’en jouis ?
Napoléon se rend en bateau au château de Saint-Cloud avec Hortense, qui maintenant est sur le point d’accoucher. Les rumeurs sur la paternité de Napoléon n’ont pas cessé, au contraire. Mais, après tout, peut-être est-il heureux qu’on le croie ?
Napoléon prend le bras d’Hortense, qui marche péniblement dans les allées du château de Saint-Cloud. Il regarde ce pavillon de l’Orangerie, où, il y a moins de trois années, s’est joué son destin. C’est là qu’il a pris le pouvoir. Mais il pouvait aussi tout perdre.
Il a redécouvert il y a peu le château de Saint-Cloud. Les Tuileries sont tristes. Il y est trop proche de Joséphine. Elle a l’habitude qu’il dorme avec elle. Quant à la Malmaison, c’est son domaine. Saint-Cloud, ce sera chez lui. Et même si Joséphine s’y installe, et il le faut, il a fait aménager pour lui un petit appartement privé au-dessus du cabinet de travail.
À chaque étape d’une vie, il faut des lieux. Ici, à Saint-Cloud, c’est la demeure du Premier consul à vie.
Il avance lentement au milieu de la galerie d’Apollon. Il sourit. De chaque côté de la galerie richement décorée se tiennent les proches, les invités, ou les aides de camp et les femmes. Ils s’inclinent et il les salue d’un petit mouvement de tête.
Il sait que derrière lui, loin derrière lui, suivent Cambacérès et Lebrun. Cambacérès donne la main à Joséphine. Puis viennent les membres de la Maison consulaire, suivis par les valets en livrée verte galonnée d’or.
Il faut une
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