Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le souffle de la rose

Le souffle de la rose

Titel: Le souffle de la rose Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
supputaient. Les rues n’étaient qu’un
bruissement de confidences ou de ragots. S’y mêlaient le certain et l’improbable,
chacun y allant, pour étayer ses dires, des révélations d’un cousin ou de
celles du fournier ou du potier du coin. Les exactions de Nicolas Florin, ses
abus, sa perversité, et son goût du lucre s’étalaient maintenant en place
publique. On l’accusait aussi de sorcellerie, d’avoir assuré son pouvoir en
vendant son âme au malin. On le soupçonnait d’avoir célébré moult messes noires.
Le petit peuple se répandait sur cet homme qu’il avait d’abord adoré pour le
craindre et le haïr plus tard. L’épiscopat, qui avait jusque-là fermé les yeux,
intervint enfin en décidant que la dépouille du seigneur inquisiteur ne serait
pas enterrée en terre consacrée. Cette annonce calma la populace qui, la
veille, saluait bas Florin et fermait les yeux sur ses trafics notoires mais se
trouvait aujourd’hui bien décidée à se soulever puisqu’elle ne redoutait plus
de représailles.
    Les blessures d’Agnès cicatrisèrent, aidées en cela par les
soins constants dont elle était entourée. Lorsque, quelques jours après la mort
de son bourreau, elle put se lever et marcher, Clément la gronda de sa
précipitation, Artus la supplia de se ménager.
    — Allons, mes doux messieurs, je ne suis pas de verre.
Il en faut plus pour venir à bout d’une femme de ma sorte. Si j’en doutais, j’en
suis maintenant certaine.
    Contrairement aux suppliques d’Artus, qui voulait plus que
tout qu’elle acceptât l’hospitalité de sa demeure, elle décida de rentrer au
plus vite en son manoir, afin de rassurer ses gens et de vaquer aux occupations
qu’on l’avait contrainte à délaisser.

 
Château de Larnay, Perche, décembre 1304
    La fille recula, affolée. La joue lui cuisait et la fureur d’Eudes
lui faisait craindre pour sa vie. Une autre gifle l’envoya s’effondrer contre
le chambranle de la porte et elle sentit le sang couler de son nez. Elle
supplia :
    — Mon maître... j’ai rien fait... mon bon maître.
    — Hors de ma vue, putain ! Vous êtes toutes d’odieuses
putains ! hurla Eudes en froissant la missive que la servante venait de
lui porter.
    L’adolescente s’enfuit de la pièce, courant à perdre haleine
afin de mettre le plus d’espace entre elle et les coups de ce fou.
    Une rage meurtrière secouait Eudes de Larnay et il regretta
d’avoir donné son congé à cette fille. La battre davantage l’eut soulagé un
peu.
    Les demeurés, tous des demeurés !
    Cette racaille de Florin, incapable de mener à bien un
procès qu’on lui avait taillé sur mesure. L’abruti se faisait navrerpar
une brute, compagnon de beuverie et peut-être d’orgie qu’il avait ramassé dans
la rigole ou dans un bouge quelconque. Sa gourde de nièce, qui ne savait mieux
faire que de papillonner des paupières et de jouer avec ses oripeaux, si
malhabile et sotte qu’elle n’était même pas fichue de répéter ce qu’on lui
avait entré dans la tête à grands efforts. Cette gueuse de Mabile qui l’avait
mené, le grugeant comme un benêt, l’extorquant, lui mentant. Toute sa
maisonnée, inepte, couarde, stupide ! [72]
    Une peine fulgurante dissipa d’un coup sa colère.
    Agnès... ma magnifique conquérante. Pourquoi faut-il que tu
me détestes tant ? Agnès, je te hais. Je ne cesse de penser à toi. Tu me
hantes, tu envahis mes jours, mes nuits. Je te voudrais morte. Pourtant, que me
restera-t-il si tu meurs ? Il ravala le sanglot qui l’étouffait et ferma
les yeux. Agnès, je t’aime tant. Agnès, tu es ma plaie purulente et mon seul
remède. Je te hais, je te hais infiniment.
    Il récupéra le cruchon posé sur la table et le but sans même
se préoccuper de remplir son godet. Le vin dégoulina sur son doublet de cendal [73] égayé de fines rayures. L’alcool lui
ravagea l’estomac, lui rappelant qu’il n’avait rien mangé depuis la veille.
Pourtant, l’ivresse amena bien vite son réconfort.
    Je n’en ai pas fini avec toi, ma belle.
    Il trouverait autre chose. Il le fallait, au-delà de sa
rancœur et de ce désir qui refusait l’étouffement. Il le fallait, sa propre
survie était à ce prix.

 
Abbaye de femmes des Clairets, Perche, décembre
1304
    Yolande de Fleury reposait en terre. Éleusie allait tous les
jours se recueillir sur sa tombe. Une bien faible lueur éclairait sa peine.
Après quelques interminables secondes d’enfer, la

Weitere Kostenlose Bücher