Le souffle du jasmin
surprendras toujours. C'est une excellente idée. D'autant
plus excellente qu'une université vient d'ouvrir ses portes à Naplouse.
– An Najah. Je suis au
courant. Néanmoins, elle n'en est qu'à ses balbutiements. Je pensais plutôt à
un établissement à la réputation déjà établie.
–
J'imagine que tu y as déjà pensé ?
–
L'université égyptienne [20] .
–
L'université égyptienne ! As-tu perdu la tête ?
– Elle
passe pour être le meilleur centre d'enseignement de tout l'Orient. D'ailleurs...
– Es-tu
conscient de l'énormité de ta requête ? Tu voudrais partir ? Quitter
ta famille ?
– Mais pas
du tout ! Je reviendrais régulièrement ici. Les vacances...
– Et où
vivrais-tu ?
– Chez
mon ami Taymour. Taymour Loutfi. L'Égyptien dont le père est dans le coton...
– Celui
qui t'a envoyé la lettre de cet anglais... Bafour.
– Balfour, oui. Il
est ravi de m'accueillir. Il en a parlé à ses parents et ils sont d'accord.
– À
t'entendre, ta décision est prise et ne date pas d'hier, grinça Hussein avec
amertume. Tu as bien prémédité ton affaire, à ce que je vois.
– Papa,
écoute-moi et ne sois pas triste. C'est important : j'ai besoin de
m'enrichir, de croiser d'autres personnes. J’ai besoin d'apprendre.
–
Apprendre, apprendre ! As-tu au moins choisi une matière ?
– Le
droit. Le droit public plus précisément.
– Le droit
public. Il te mènera à quoi, le droit public ?
– À mieux
défendre l'intérêt général. Et peut-être celui de notre pays, le jour où il
existera.
Un silence
pesant s'insinua entre les deux hommes. Finalement, Hussein se décida à
surmonter ses appréhensions
– Nous
sommes déjà en novembre. Tu pourras réinscrire en cours d'année ?
– Oui. Mon
ami Taymour me l'a assuré. Il a obtenu l'accord du directeur. Un cousin de son
père.
Hussein
fourragea machinalement dans sa barbe.
– Ai-je le
choix ? Oui. J'ai le choix ! Ne suis-je pas ton père ? Tu as
beau avoir dix-huit ans, dix-neuf dans une semaine, c'est moi qui décide et
déciderai aussi longtemps que je vivrai.
– Je
comprends, père. Et... que décides-tu ?
Après un
nouveau silence qui parut interminable, la réponse fusa :
– C'est
oui.
Mourad
bondit vers Hussein et lui embrassa la main avec fougue.
– Que Dieu
te bénisse !
– J’en ai
bien besoin. Surtout lorsque je vais devoir annoncer la nouvelle à ta mère.
4
Si mon cœur
se déplace de gauche à droite, si les Pyramides bougent, si le courant du Nil
change, moi je ne changerai pas de principe.
Mustapha
Kamel pacha.
Tantah, Basse-Égypte, 2 octobre 1918
Le
tarbouche légèrement penché sur le côté, Farid Loutfi bey, quarante-six ans,
bedaine avantageuse sous la chemise de soie ivoire et moustache déjà
grisonnante, ouvrit un paquet de cigarettes Simon Arzt à bout doré, en tira une
et la glissa entre ses lèvres.
Mustapha,
le contremaître de la ferme, s'empressa de frotter une allumette pour enflammer
le précieux tabac, puis la souffla, posa devant son maître un cendrier de
cuivre ciselé et recula de trois pas.
Sec et
digne, moustaches en crocs, vêtu à l'européenne, avec un veston, un col dur et
une cravate noire prénouée, il se tenait au garde-à-vous, attendant de savoir
pour quel motif il avait été convoqué. Il se sentait mal à l'aise, un peu
gauche, planté au milieu de ce grand salon garni de meubles aux dorures
excessives, de tapis de soie, de tentures de brocart. Autant d'éléments
totalement inadaptés au climat de la région.
Une
centaine de paysans s'affairaient dans les champs à arracher les touffes
blanches qui mouchetaient les arbustes et à les glisser dans des sacs de jute.
Ensuite, la récolte de coton, disposée dans des balles de 425 livres, partirait
par la mer, vers les grandes filatures d'Europe.
Loutfi bey
aspira une bouffée de fumée et l'exhala par les narines et la bouche, ce qui
lui prêta un instant l'apparence d'un dragon prêt à bondir sur sa proie.
– Il
aurait fallu renouveler l'insecticide après cette pluie, grommela-t-il d'un ton
ennuyé.
La pluie
en Égypte était aussi rare que maigre, mais, une semaine plus tôt, plusieurs
averses successives étaient tombées sur la région, diluant la précieuse poudre
contre le ver du coton que la ferme avait achetée à prix d'or à l'Impérial Chemical Industries, la grande firme britannique.
– C'est
ce que j'ai
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