Le talisman Cathare
l’Église romaine n’est que tromperie et coucherie. »
À ce moment, Peytavi Borsier entra dans la salle de réunion et vint murmurer quelques mots à l’oreille des Parfaits.
« Hélas, s’écria Bernard de Lamothe, un grand malheur vient de frapper l’assemblée des Bons Chrétiens, en même temps qu’un grand bonheur pour deux âmes qui viennent de regagner le plérôme céleste. Le même jour, à Montségur, notre évêque Guilhabert de Castres et la grande Esclarmonde de Foix ont abandonné leurs tuniques de chair et rendu leurs âmes à Dieu. Jamais union plus chaste ne fut connue sur terre ! »
La communauté resta atterrée, abasourdie, comme égarée d’avoir perdu des guides aussi précieux. Elle s’abandonna à la prière. Peytavi Borsier s’approcha de Bernard de Cazenac. « Je me suis rendue à Montségur pour mettre à l’abri le trésor dont j’étais dépositaire, ne gardant à Toulouse que le strict nécessaire. Sous la coupe de l’Inquisition, la cité est mal vivante. J’ai vu Alix, celle qui fut ton épouse. Elle va bien et te salue. »
« Vous voilà donc évêque de Toulouse, dit le chevalier à son “socius”, quelque temps après la cérémonie. Quiallez-vous désigner comme coadjuteur ? » Sans répondre à la question, Bernard de Lamothe regarda son ami avec des yeux pleins de tristesse.
« Es-tu prêt à gagner Montségur ?
— Pour vous, monseigneur, j’irai au bout du monde.
— Et sans moi, iras-tu à Montségur ?
— Sans vous ?
— Des événements graves se sont produits et la fin des temps est proche pour nous. Pierre Roger de Mirepoix, le chef militaire de Montségur, a conduit une expédition punitive sur Avignonet, au sud de Toulouse, en pays lauragais. Les inquisiteurs Guillaume Arnaud et Étienne de Saint-Thibery y avaient allumé une trentaine de bûchers. La petite troupe s’est introduite dans le château d’Avignonet, le jour du 27 mai 1242, avec la complicité du bayle Ramon d’Alfaro, et y a massacré les agents de l’Église et leur suite à coups de hache, après les avoir surpris dans leur sommeil. “Votre coupe est brisée”, a déclaré Guillaume Azema à son ami Pierre Roger qui avait réclamé la tête des inquisiteurs pour en faire des hanaps.
— Les pauvres gens », murmura Bernard de Cazenac.
Il pensa intérieurement qu’il y a peu, il se serait réjoui de ces meurtres. La paix le gagnait peu à peu avec la pitié ; la grâce était en chemin.
« Le plus grave, continua Bernard de Lamothe, c’est que le roi de France a décidé d’en finir avec Montségur. Il faut que tu rejoignes au plus vite la forteresse, avant que l’encerclement ne soit total, et en fasses partir la communauté. Montségur est perdu ! Tu es un bon militaire, tupeux réussir à évacuer la place et à conduire les fidèles en Italie. »
Bernard blêmit en pensant à Alix. Elle était en danger, il devait voler à son secours.
« Je vais te fournir un guide sûr qui te conduira au château saint.
— Vous ne venez pas avec moi, messire ?
— Mon destin est à Toulouse. Je suis trop recherché ; mes prêches ont été dénoncés et je te mettrais en danger en t’accompagnant. Toi, ils t’ont oublié ; tu n’es plus qu’une silhouette sombre sur la route. »
Le chevalier songea un instant à la fragilité de la gloire et des victoires terrestres.
« Mon destin est de périr brûlé à Toulouse. Bertrand Marty est devenu l’évêque de la communauté ; il est déjà sur place. Pars ! Va à Montségur, redeviens un chef et sauve-les ! »
Les deux Bernard se donnèrent une longue et fraternelle accolade, conscients de ne jamais se revoir dans cette enveloppe corporelle.
32
Pierre Bastit, le « ductor » des cathares sur le chemin de Montségur, avait averti Bernard. « Le chemin sera rude, parsemé de dangers, et les pièges peuvent venir autant des humains que de la nature. »
Les deux hommes gagnèrent les égouts de Toulouse, pataugeant dans l’eau nauséabonde. Alourdi par le trésor qu’il portait sur lui, Bernard craignait à tout instant de glisser et de se noyer. Une brèche, percée dans le mur d’une maison adossée aux remparts, leur permit de quitter la ville clandestinement. Piquant plus au sud, ils traversèrent le plat pays, s’abritant dans des fermes tenues par des paysans amis, des « receptores » qui acceptaient d’héberger les croyants en route pour Montségur. En évitant soigneusement les
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