Le talisman Cathare
1
Périgord, printemps 1214.
Le moine cheminait sous le chaud soleil printanier ; les ardeurs de Phébus donnaient des rougeurs à sa tonsure. Comme à son habitude, il soliloquait en marchant. « Ah ! Si j’avais une mule, je serais depuis longtemps à l’abri, dans le frais monastère de Sarlat. »
Sa longue errance depuis Assise, en Italie, l’avait accoutumé à parler seul, à s’offrir la compagnie des mots à défaut de celle des humains. Il philosophait comme pour se convaincre, prêchait comme pour se convertir à une foi nouvelle. Il parlait aux oiseaux des bois et aux bêtes des champs, comme son maître, il Poverello, le bon François, son ami. C’est lui qui l’avait persuadé de gagner le comté de Toulouse où, semblait-il, se menait le combat théologique pour la pauvreté.
« Des gens aux étranges croyances, mais se disant chrétiens, vivent dans le dénuement et dans le respect absolu de leurs engagements, lui avait-il expliqué. Nos savants les nomment “cathares”, les “purs”, à cause de leur intransigeance, et ils ressemblent fort à nos patarins italiens. D’autres, sous l’influence du moine lyonnais Pierre Valdès, expérimentent la simplicité des premiers temps de l’Évangile. Notre sainte mère l’Église englobe d’une même haine vaudois et cathares, alors qu’elle encourage ces orgueilleux dominicains qui font de la pauvreté leur fonds de commerce. Je veux que tu rencontres ces gens ; nous avons sûrement à apprendre d’eux. »
Augustin avait gagné le royaume de France, traversant un comté à feu et à sang, du Rhône jusqu’à la Garonne, depuis que le pape Innocent III avait lancé, cinq ans plus tôt, la première croisade jamais levée contre un pays chrétien. Exposées en proie, les riches terres de Raymond VI avaient suscité l’avidité des barons du nord de la France qui s’étaient jetés sur elles avec la férocité de bêtes fauves.
« Des bêtes bien plus dangereuses que le loup apprivoisé par mon maître à Gubbio », songeait Augustin.
Français, Bourguignons, Champenois, Lorrains, Normands, Picards et Bretons, auxquels s’ajoutèrent Flamands et Teutons, déboulèrent sur le vaste comté, le plus florissant et le plus cultivé du royaume, pour le piller sans vergogne. Les grands seigneurs, un peu honteux de se trouver partie prenante dans cette croisade mal engagée et qui portait atteinte à leur honneur, n’offrirent au souverain pontife que les quarante jours dus à l’host. Le premier acte de ce combat douteux n’avait-il pas vu le massacredes vingt mille habitants de Béziers, tous passés au fil de l’épée alors que la ville comptait essentiellement de bons catholiques. Mais ces catholiques-là se sentaient bien plus proches des hérétiques qu’ils côtoyaient, leurs amis, leurs parents parfois, que de ces étrangers venus du Nord qui parlaient des langues barbares.
Puis il y avait eu l’assassinat de Raymond Roger Trencavel, jeune seigneur de Carcassonne, malgré la parole donnée d’épargner sa vie. C’en était trop pour les grands féodaux français à l’honneur pointilleux, qui avaient tourné bride et regagné leur duché, leur comté ou leur baronnie sans attendre l’issue du conflit.
Restaient les petits seigneurs avides de gains, et les puînés sans espoir d’héritage pour qui les prises de guerre demeuraient la seule voie pour sortir du rang, pour se hisser au niveau des plus grands, des plus nobles. Les évêques et les riches abbés du pays d’Oc, ceux-là mêmes qui avaient fait le siège du palais du pape Innocent III à Rome pour obtenir qu’une croisade soit lancée, tant ils craignaient de voir disparaître leurs subsides avec leurs ouailles, surent trouver des appuis parmi ces cadets. Ils confièrent au plus compétent, au plus féroce et au plus déterminé d’entre eux, Simon de Montfort, un seigneur de la vallée de Chevreuse, le soin d’achever cette guerre sainte en détrônant le comte de Toulouse en personne, Raymond VI.
Depuis, ce n’était qu’incessants combats plus sanguinaires les uns que les autres, qu’insatiables bûchers dont l’ampleur effrayait les soldats les plus farouches. Le pays se ruinait. Les riches, les mains vides tendues vers leciel, pleuraient leurs biens évanouis. Des chevaliers poussiéreux, dépossédés de leurs fiefs, prenaient la route de l’exil, le coeur sombre et le corps en guenilles. Augustin, pacifique dans l’âme, soupirait après
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