Le talisman Cathare
la grotte et commença à descendre la rude pente. Les soldats le virent et convergèrent vers lui. Il ne voulait pas tomber vivant entre leurs mains, ni trahir son serment de non-violence. Il brandit sa grande épée, fit de vigoureux moulinets au-dessus de sa tête, puis la planta dans le sol. Prudents, les sergents s’écartèrent, puis saisirent leurs arcs et reprirent leur progression à pas de loup, le doigt sur la corde à demi tendue.
Bernard tenait son talisman au bout de sa chaîne, brillant dans le soleil, avec un regard un peu superstitieux qui ne seyait pas à un cathare. « Tu ne dois l’ouvrir qu’en toute extrémité, si notre Église se trouve en danger de disparaître. Le bijou contient le moyen de sauver l’héritage », lui avait dit son père.
« Tu ne vas pas croire ces contes de bonnes femmes, dit-il à voix haute. Il vaut mieux savoir que périr dans l’ignorance. J’ai encore le temps de cacher cet objet si j’estime que nos ennemis peuvent en faire un mauvais usage. »
Fébrilement, ses doigts trouvèrent le mécanisme, brisèrent les sceaux de plomb, ouvrirent la petite porte d’argent, explorèrent le logement : il était vide. Il regarda mieux : aucune inscription n’était gravée à l’intérieur. Bernard sentit un fou rire le prendre : ce désespoir le comblait de joie. Il avait compris qu’il n’y avait dans le médaillon d’autre secret que le secret lui-même. Cet espace vide était rempli du courage, de l’honneur, de la force, du paratge, de la vaillance, du sens du devoir et du bonheur de vivre dont lui-même et ses ancêtres avaient fait montre au cours de leurs existences. Le secret résidait dans le coeur de l’homme, comme la survie de tout idéal. Tel était le mystère des Cazenac : il était lui-même son propre secret, incommunicable à autrui. Nul document, nulle Église particulière ne pouvait porter l’esprit de Dieu, mais seulement les hommes, temples du divin. Le salut n’appartenait qu’à Dieu, aucune créature humaine ne pouvait jamais l’accorder, mais seulement les oeuvres de chacun. La sensation exaltante qu’il avait éprouvée lors du martyre d’Alix s’empara à nouveau de lui : larévélation du bûcher ; les mêmes mots retentirent à ses oreilles. Bernard éclata d’un rire immense que les rochers et le vent firent rouler, de montagne en montagne, jusqu’en Espagne.
Sarlat, Arcachon, juin 2006 - juin 2008.
Postface
Cet ouvrage est un roman dont les héros, Bernard de Cazenac et Alix de Turenne, ont réellement existé. Le chroniqueur catholique Pierre des Vaux de Cernay, dans son Histoire des Albigeois , n’a pas de mots assez durs pour stigmatiser le couple, accusant Bernard de couper les mains et les pieds et de crever les yeux des hommes qu’il capturait, tandis que son épouse, Alix, coupait les seins et les pouces des femmes. L’époque était rude et, dans les deux camps, on ne faisait pas de quartier. Le chroniqueur anonyme de la Chanson de la croisade , favorable aux cathares, donne de Bernard de Cazenac un portrait bien différent, lorsqu’il vient porter secours au comte de Toulouse : il est le preux chevalier, de parfaite droiture et d’enviable sagesse. Quant à Alix, avant de s’adonner à la mutilation des prisonnières, elle est chantée par les troubadours comme un modèle de beauté, d’honnêteté et de culture.
C’est cette contradiction que j’ai cherché à traduire dans ce roman, entre des êtres à la fois épris d’art et de beau langage, chantant l’amour courtois, et capables d’effroyables barbaries. Cette personnalité se retrouve également chez Simon de Montfort, le chef des croisés, modèle idéal du chevalier français et responsable des pires atrocités. Ni ange ni bête, ces hommes et ces femmes du Moyen Âge vivent leurs passions dans l’instant ; on pourrait presque dire, dans l’instinct.
Les historiens ne parlent plus d’Alix de Turenne après le passage de la croisade en Périgord. Quand à Bernard de Cazenac, après sa participation à la défense de Toulouse en 1218, où il joua un rôle de premier plan et assista à la mort de Montfort, on perd sa trace vers 1230, dans l’entourage du Parfait Bernard de Lamothe. Il était tentant d’imaginer la conversion du guerrier cathare, dont la brutalité n’avait rien à envier à celle des croisés, en religieux non violent. Quant au destin tragique de Blanche, fille de Bernard et d’Alix, il est rapporté par une
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