Le talisman Cathare
finie. Est-ce qu’un Parfait se bat ? Porte-t-il une arme ? Je n’aspire qu’à vivre en paix, avec une bourse bien garnie. »
Le dominicain pianotait nerveusement sur la table de bois brut qui lui servait d’écritoire.
« Nous savons que les fugitifs doivent passer par Usson ; nous sommes déjà bien renseignés et n’avons pas besoin de toi.
— C’est ce que vous croyez ! Vous avez gobé les mensonges des défenseurs de Montségur. Quel crédit accordez-vous à ces fanatiques ? Les aveux ont été préparés pour vous conduire sur une fausse piste. Il n’a jamais été question d’Italie. »
Le regard du moine se noircit d’inquiétude ; il était visiblement touché par le ton ouvert et convainquant du chevalier qui se trouvait devant lui. Il n’avait rien d’un sinistre Parfait. « Alors, quelle est leur destination ? » Bernard fit mine d’hésiter, comme retenu par un ultime doute. Puis il lâcha : « L’Espagne, par la voie d’occident. »
Le religieux caressa sur son menton une barbe imaginaire.
« L’Espagne ! Ce n’est pas habituel.
— C’est en cela que réside la ruse des hérétiques. La Catalogne pullule de cathares et Barcelone prétend remplacer Toulouse pour le rayonnement de sa culture. Juifs, musulmans et patarins y ont établi leurs résidences.
— Quelle preuve as-tu de tes dires ?
— Moi-même. Serais-je ici, devant vous, si j’étais un menteur ?
— Rien ne m’oblige à te croire.
— Rien ne m’oblige à partager le trésor avec vous. Je puis le conquérir seul. Mais je tiens à la réconciliation avec la sainte Église catholique. »
Le dominicain avait laissé Bernard seul un moment, pour rapporter leur conversation et décider d’une action concertée avec les gens d’armes. Il avait choisi de le croire, mais balançait encore sur le moyen le plus habile pour mettre la main sur le magot. Il pouvait éviter un partage onéreux en faisant mettre cet audacieux à la question. Mais le procédé était hasardeux. Le chevalier en profita pour briser une fenêtre, sauter dans la rue, voler un cheval et passer le pont. Il bouscula les gardes en faisant claquer les sabots de sa monture sur le tablier de bois, puis il piqua des deux vers l’ouest, comme s’il revenait vers Montségur, comme s’il gagnait l’Espagne.
Le réseau de chevaucheurs au service de l’Inquisition s’avéra rapide et efficace pour retrouver sa piste. Bernard avait trouvé refuge dans une petite grotte creusée sous le vieux château en ruine de Montréal-de-Sos. Les templiers avaient abandonné cette forteresse inhospitalière, située à plus de trois mille pieds d’altitude, pour s’établir en plaine, à Campagne-sur-Aude. Quand Bernard, au réveil, se vit cerné par les sergents du roi, il comprit que la fin était proche. Il porta la main à son cou et en détacha la lourde chaîne d’argent. Était-ce un ultime espoir, ce talisman, cette boîte couverte d’inscriptions kabbalistiques que son ancêtre Aldebert avait ramenée d’Orient, et que se transmettaient les fils aînés des Cazenac, avec interdiction absolue de l’ouvrir, souspeine de perdre définitivement son âme, sans possibilité de rachat ?
Au moment même de quitter Montségur, il avait eu ce même geste : porter la main à son cou, et ses doigts n’avaient rien trouvé. Il s’était souvenu avoir déposé le bijou dans sa maison, car il le gênait pour combattre. Un instant, il avait pensé partir en l’abandonnant à son sort. Il ne croyait plus en rien. Mais les derniers mots d’Alix avaient été pour cet objet : elle lui avait recommandé d’en prendre soin. Il avait retrouvé sa cabane à demi-écrasée par un boulet. Après avoir écarté les poutres enchevêtrées, il s’était agenouillé et, fouillant le sol de sa main nue, il avait trouvé les restes de son lit et, dessous, le talisman. Était-ce possible qu’il ait tant négligé un objet aussi précieux ? Il ne fallait pas que le secret se perde. Tirant de sous son manteau une bouteille d’encre et un stylet qui lui étaient devenus plus utiles que ses armes, il entreprit de reproduire, sur les murs nus de la grotte, les dessins et les lettres inconnues qui ornaient le bijou. Satisfait, il contempla son oeuvre. « Ainsi, il en restera quelque chose pour les générations futures. Je n’ai pas de fils à qui transmettre le talisman, et, dans quelques minutes, je vais rejoindre Alix, ma bien-aimée. »
Il sortit de
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