Le Temple Noir
pillards ivres l’avait traité de fils du diable. Le surnom lui était resté. Il disait pourtant venir des terres brumeuses d’Angleterre, poussé par la quête de Dieu, assurant que ses ancêtres celtes lui avaient légué des dons secrets. Roncelin n’était pas dupe, il mentait. Comme d’ailleurs tous les soudards de sa troupe sur leurs origines. Leur cuisinier était un fils bâtard du bon roi de France, l’archer italien descendait d’un cardinal de la curie, le Charentais habile au poignard sortait, lui, du ventre d’une princesse de Lusignan… Alors un Anglais à moitié sorcier, ça ne faisait pas tache dans le groupe. Roncelin était le seul à taire ses origines, on l’appelait Provençal et ça lui suffisait.
Il observait le Devin avec attention. Celui-ci s’était joint à la bande un mois auparavant lors de la mise à sac de la bourgade d’Aldebarra. Il avait surgi de nulle part et, d’un coup de dague opportun, sauvé Roncelin du cimeterre d’un infidèle. Le Provençal l’avait enrôlé en guise de reconnaissance. Mais maintenant, il se demandait s’il n’avait pas fait une erreur. Les hommes de la troupe murmuraient que le Devin avait des pouvoirs offerts par Lucifer en personne, que son œil portait la mort comme la foudre le feu. À la différence de ses compagnons de pillage, Roncelin n’avait pas peur du sorcier, cela faisait longtemps que Dieu et Satan avaient déserté sa conscience. Il reconnaissait néanmoins à l’Anglais une influence indéniable sur la troupe. Une trop grande influence même.
Au centre du cercle formé par les compagnons, une petite fosse venait d’être creusée. La forme était étrange. Un triangle tronqué à sa pointe. Le Devin pointa son index vers le bas.
— Le vase.
La voix du Devin était étonnamment claire, presque fluette. De dessous une cape, un calice doré jaillit. Roncelin se demanda dans quelle église il avait bien pu le voler. L’Anglais haussa le ton :
— La lame.
Une dague surgit. Fine et ciselée. L’acier brillait sous la lune. Le Devin s’avança et remonta les manches élimées de sa soutane. Il tendit son poignet, strié de cicatrices au-dessus du calice. Les gouttes de sang perlèrent pour former un chapelet écarlate. Le Devin ne lâcha qu’une parole :
— Les morts ont soif.
Khoubir abaissa sa torche et inspecta le parapet. Il craignait toujours de découvrir un grappin arrimé aux pierres. Ces porcs de chrétiens ne reculaient devant aucune ruse. Malgré la trêve signée entre chrétiens et musulmans, ces bandes, avides de sang et d’or, écumaient tout le pays, rançonnaient et tuaient sans cesse. De colère, il cracha à terre. Un frisson le saisit. La veille, dans le vieux quartier de Jérusalem, près de la Tour de David, il avait entendu de la part de changeurs juifs, d’étranges récits. Le visage tendu, ils répétaient tous le même mot, djinns , ces êtres mi-hommes, mi-démons qui tuaient tout sur leur passage, corps et âmes. Un bruit sec de branchages le fit sursauter. D’un coup son cœur s’emballa. Il se glissa près du créneau et tendit l’oreille. De nouveau le même éclat d’écorce brisée retentit. Khoubir sentit battre le tocsin dans sa poitrine. Des images d’hommes aux visages de carnassiers roulèrent devant ses yeux. Il implora Allah de lui épargner la peur. Une fois de plus il écouta la nuit. Cette fois plus de doute, un pas lourd se frayait un passage à travers les buissons qui pullulaient au pied des remparts. D’une main vacillante, il saisit le cor à sa ceinture. Dans la nuit, il sentit sous ses doigts l’ivoire sculpté de maximes du Prophète. Le sang martelait ses tempes. Il tenait le cor près de son visage. Le bec d’argent, où son père et le père de son père avaient soufflé, était glacé. Brusquement, un bruit de chute résonna sous le rempart. Cette fois, Khoubir n’hésita plus.
Un mugissement déchira les ténèbres.
Le son haletant du cor résonna dans la clairière, mais aucun des compagnons ne bougea. Roncelin comprit que Guillaume avait effectué sa tâche et son impatience s’accrut. Il n’avait plus de temps à perdre avec des cérémonies grotesques. Le Devin avait intérêt à finir rapidement son œuvre, sinon il l’expédierait lui-même en enfer. Le Provençal se rapprocha en silence. Au fur et à mesure qu’il s’avançait, l’odeur âcre se faisait plus entêtante. Le dégoût le saisit à la gorge.
Les
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