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Le Temple Noir

Le Temple Noir

Titel: Le Temple Noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Giacometti
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hommes le firent pivoter brutalement et basculer à terre, juste devant le drap blanc. Il sentit leur poigne sur ses épaules comme deux étaux.
    — Bande de… cria le père Roudil en se débattant.
    Le prêtre regarda autour de lui, cherchant le moindre espoir auquel s’accrocher, mais Dieu l’avait abandonné.
    — Laissez-moi, hurla-t-il, la tête pendante.
    La femme au pistolet s’agenouilla derrière lui et chuchota à son oreille d’une voix douce :
    — Regardez en face de vous, je vous prie.
    Roudil leva ses yeux rougis sur la toile posée à terre.
    — Je ne comprends pas, je ne vois rien…
    Sa voix se troublait.
    —  Ils ont des yeux et ils ne voient point, murmura-t-elle. Regarde bien. Voilà ce que tu es.
    Le prêtre éclata en sanglots. L’eau salée formait un voile grossissant sur ses pupilles dilatées. Et soudain, il vit et crut à une hallucination. Sur le drap posé à terre, ce n’étaient pas des morceaux de bois mais des os. Des os humains, alignés pour former un squelette. Un crâne aux orbites noires était posé à l’extrémité. Le père Roudil cligna des yeux, plusieurs fois, pour chasser les pleurs. Pourtant c’était bien là, juste en face de lui. La peur le submergeait comme une marée. La femme posa son pistolet, prit le crâne entre ses mains et le hissa à hauteur de ses yeux. L’éclat des projecteurs dessinait des reliefs poussiéreux sur ses aspérités. Elle passa un doigt sur le côté.
    Sur la tempe droite étaient gravées des inscriptions étranges.

    La lumière pénétrait le fond des orbites, léchait les coutures entre les plaques temporales, s’infiltrait entre les sinus usés. Le crâne n’offrait que ses yeux vides, mais le faisceau des projecteurs semblait lui redonner vie. La femme contempla son trophée avec délectation et souffla sur la couche de poussière. Satisfaite, elle le reposa sur le drap, juste à côté des genoux du prêtre.
    — Si ça peut vous consoler, mon père, sachez que ce squelette est celui d’un saint. Et il va révéler de merveilleux secrets.
    Elle reprit son pistolet et le colla contre la tempe du religieux.
    — Le saint va parler. Et son verbe changera la face du monde.
    Le père Roudil n’entendit pas la détonation et n’eut même pas conscience de la balle qui traversa son cerveau de part en part. Mais ses rétines emportèrent dans la mort la vision du crâne qui le dévorait !

I

1
    Terre sainte
Ville d’Al Kilhal
Veille de Toussaint 1232
    Le bruit des sabots s’arrêta. L’entrée de la ville était proche. Du couvert des arbres, on distinguait la silhouette sombre d’un guetteur qui arpentait les remparts.
    — Un seul garde ? interrogea une voix dans la nuit.
    — Les autres doivent veiller près de la porte. Ils ne sont pas plus de six à tenir l’entrée, répondit Roncelin en descendant de cheval.
    C’est lui qui avait inspecté la ville. De toute la compagnie, il avait le regard le plus perçant, l’esprit le plus avisé. Des qualités parfaites quand on est un voleur de talents, doublé d’un meurtrier sans vergogne. Déguisé en mendiant, il avait parcouru la cité, quartier par quartier, notant les corps de garde, marquant les échoppes d’artisans, sans oublier les trois mosquées et même la synagogue, enchâssée dans les ruelles tortueuses du quartier juif. Puis, affalé près du marché, une sébile ébréchée à ses pieds, il avait étalé ses haillons, interpellant les passants de son regard rouge sang avant de les faire fuir à cause de sa puanteur. Le matin même, il s’était frotté les yeux avec des fleurs séchées de saponaire, avait roulé un chat crevé dans sa besace et, à la tombée du soir, il n’était qu’un loqueteux anonyme dont plus personne ne se souciait.
    — Combien de marchands dis-tu ?
    Patiemment Roncelin reprit. Son compère Guillaume n’était pas réputé pour l’excellence de sa mémoire. En revanche, il maniait l’épée comme on respire. Un don de Dieu ou du diable qui compensait son opacité intérieure.
    — Une quarantaine. Sans compter leur famille.
    La voix de Roncelin fit chanter la dernière syllabe de sa réponse. Un rayon de soleil de sa Provence natale y brilla un instant. Il enleva ses hardes puantes et se retrouva rapidement nu. Des cicatrices sombres zébraient son dos et ses avant-bras, mais aucune blessure ne l’avait encore mis à terre. Ce qui relevait du miracle. Son corps strié, balafré, traduisait en langage

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