Le train de la mort
marier ; vos papiers sont donc prêts ? Allez les chercher à Paris, et présentez-vous à la porte du camp samedi 27 mai à 10 heures, avec le maire et Monsieur le Curé. Si vous le voulez, vous pourrez vous marier. » Il me tendit ma carte d’identité et fit signe aux gardiens de me laisser sortir.
— Le samedi 27 mai à 10 heures, le maire adjoint de Compiègne, M e Bourquin, M. le Chanoine Delvigne, archiprêtre de Compiègne, maman et moi, nous nous trouvions devant la porte du camp. Elle s’ouvrit pour nous. Escortés par six soldats armés on nous fit entrer dans une baraque.
— Bientôt Marc apparut, encadré de deux gardiens avec des mitraillettes. Derrière lui deux autres camarades détenus avec deux autres gardiens. Les camarades devaient servir de témoins. Mais comme ils n’avaient pas de papiers d’identité, ils ne purent signer. Ce furent maman et le chanoine Delvigne qui servirent de témoins. Le mariage eut lieu. Alors que nous finissions de signer les registres d’état-civil et ceux de l’église, tous les officiers du camp arrivèrent. Ils défilèrent en nous félicitant, en nous souhaitant d’être heureux, et le commandant du camp me baisa la main.
— Nous eûmes l’autorisation de passer une heure ensemble Marc et moi, gardés à vue. Nous nous assîmes sur un petit banc de bois. Debout derrière nous, les deux gardiens. Dès que nous bougions, nous sentions dans le dos le bout de leur mitraillette. Cela ne nous empêcha pas d’échanger lettres, informations, messages, argent et scie à métaux.
— Au bout d’une heure on nous fit sortir de la baraque. Nous nous étions arrêtés devant la première enceinte de barbelés et nous ne nous résignions pas à nous séparer.
— Les gardiens préparaient alors leur mitraillette. L’un dit : « Regardez ils vont tirer. » Nous levâmes les yeux vers les miradors. C’était vrai, tous étaient prêts à tirer, et les canons des armes dirigés sur nous. Marc et moi, nous nous regardions. Ses dernières paroles ont été : « Ne désespère jamais, cela serait pécher contre l’Esprit-Saint. Ne désespère jamais. »
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Édouard Aubert marche le long des barbelés qui isolent le camp C du camp A :
— Voilà xii que parmi un groupe de détenus circulant dans ce dernier, je crois reconnaître un ami lyonnais de longue date : un ami, un frère, avec lequel j’avais milité dans le syndicat C.G.T. des travailleurs du Textile de Lyon de 1936 à 1939, puis ensuite dans le combat clandestin lorsque nous nous étions retrouvés en 1941, après mon évasion du Stalag 11 A. Or, depuis mon arrestation j’ignorais bien entendu ce qu’il était devenu. Mais était-ce vraiment lui ? Il fallait s’en assurer. Mains en porte-voix (après le coup d’œil pour la sécurité car de tels actes étaient interdits et sanctionnés) je lançai à plusieurs reprises : « Pierre ! » son nom ensuite : « Lachaize, Lachaize ! » L’homme ne répondait pas. Il continuait à marcher et à bavarder avec les autres. Je m’étais trompé sans doute.
— Pourtant c’était bien lui et il avait entendu (je sus plus tard, qu’arrêté sous un autre nom, il veillait à ne jamais se laisser prendre à l’appel de son nom véritable afin de ne pas dévoiler son identité, ce qui était une des règles élémentaires du combat clandestin)… Et non seulement il avait entendu mais sans en avoir l’air il avait repéré l’endroit d’où venait l’appel. Comme c’était formidable de se retrouver là ! Seulement comment communiquer ? Apparemment c’était impossible : les Allemands, les kapos, ne laissaient passer personne du camp A au camp C et vice versa… Sauf, cependant, pour quelques corvées… Et un peu plus tard, Lachaize, qui avait réussi à se faire désigner pour un transport de châlits… vint au camp C…
— Je passe sur les ruses déployées pour, la chance aidant, que nous puissions nous rapprocher et échanger quelques mots malgré la surveillance. C’est par lui que nous avons eu des nouvelles sérieuses sur le camp et ce qui s’y passait, de même sur la situation générale. C’est aussi par lui que nous avons su qu’un convoi était en préparation et que nous avons pu faire parvenir quelques indications sur notre identité et notre état d’esprit aux responsables du Front National clandestin du camp A en vue d’aider à l’établissement de liaisons… La lutte
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