Le train de la mort
continuait…
Ce Front National clandestin, si parfaitement organisé pour transmettre à Londres des messages codés, pour camoufler une personnalité, pour réunir et distribuer avant un convoi – en quelques heures – cinquante ou soixante kilos de scies à métaux, de poinçons, de vrilles, de couteaux, n’a jamais réussi à s’unifier et donc à créer une véritable force : ses dirigeants venaient d’horizons de la Résistance trop éloignés et souvent même trop opposés.
— Il était un petit navire …
Dans un angle du terrain de football, le Père de la Perraudière dirige la chorale de Compiègne.
14 heures.
— Attention !
Sirène.
— Attention ! Sifflet.
— Appel général !
— Appel général !
M. le Doyen enfile ses gants blancs.
— Nous venions xiii à peine de terminer notre maigre repas de midi, que l’on nous donna, déjà, l’ordre de rassemblement par baraque ; dans les rangs, de groupe en groupe, la nouvelle se propage : nous allons participer à l’appel du prochain départ. Tous les visages sont graves, personne ne songe plus à plaisanter, l’inquiétude et l’angoisse planent sur le camp.
— Par colonnes, maintenant, chaque baraque est dirigée vers le camp A où, déjà, des détenus forment des groupes compacts. Sitôt arrivés, les rangs sont rompus et un cercle immense et dense se forme autour de la table vide, installée au centre du terrain.
— Cette table, dans cette atmosphère, elle avait une allure sinistre ! Très souriant, un officier suivi d’une demi-douzaine de scribes vint y prendre place. Le cercle, alors, fut rompu par un cordon de troupes qui refoula tout le monde à la droite de cette fameuse table. Alors commence l’appel. Un silence glacé tombe sur notre groupe où chacun attend, anxieux, l’énoncé de son nom. Un à un, frappés par la voix qui les a nommés, les hommes passent devant la table et vont, goutte à goutte, grossir le groupe qui se forme dans la partie gauche de la table. Les dernières lettres de l’alphabet viennent d’être appelées et je suis encore dans le groupe de droite. La chance semble me sourire et déjà, secrètement, égoïstement, la joie me pénètre ; je respire plus librement.
— Il ne s’agissait que d’une trêve ; après un quart d’heure de pause, le SS qui a repris son souffle recommence l’appel. Le pincement de cœur que j’avais déjà ressenti m’a repris et j’écoute. L’alerte est passée. Aucun des hommes de Riom n’a été appelé. La tenaille qui triture mon estomac se desserre. Ça va mieux, mais j’ai eu chaud. C’est alors que le SS étend la main, prend une nouvelle liste et dès les premiers noms, je comprends que, cette fois, c’est bien pour nous. Tous ceux de Riom, sans exception, sont aspirés par la maudite table. Et, bientôt, me voilà pris par le tourbillon. Comme un automate je suis les autres, en direction du SS qui, d’un geste vague de la main, me désigne le groupe de gauche qui m’absorbe en silence.
Le Père de la Perraudière est le troisième ecclésiastique appelé :
— Des détenus xiv ne répondent pas à l’appel. Après avoir répété le nom, l’Allemand n’insiste pas et continue. Je ne comprends pas sur le moment : c’est un moyen bien simple d’éviter le transport. L’Allemand a une liste plus longue qu’il ne faut, il se contentera de prolonger l’appel jusqu’à ce qu’il ait atteint le nombre voulu. Je saurai, plus tard, que ceux qui n’ont ainsi pas répondu ne seront pas inquiétés. Seulement… un autre est parti à leur place. Je suis sur la liste et j’ai répondu présent. Pourtant je ne suis arrivé que depuis cinq jours, avec un groupe d’une cinquantaine de la prison de Tours. Cela n’a pas l’air d’avoir d’importance, plusieurs de mes camarades de Tours, une bonne centaine, feront partie du convoi.
Nouvelle liste alphabétique. Le Doyen exige le « garde-à-vous ».
— La quasi-totalité xv des détenus rassemblés a refusé et alors que le Doyen évoquait le respect que nous devions à sa fonction, l’un de nous lui a lancé un retentissant « Ta gueule » qui a mis fin au discours.
Mais le Doyen insiste pour le garde-à-vous ;
— Alors xvi un trimardeur, véritable force de la nature, ancien de la prison Saint-Michel, écarte la masse des détenus stupéfaits pour envoyer un mot de Cambronne sonore au Doyen.
Dans les rangs des « retenus », Claude Mathieu
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