Le train de la mort
bâtiment 8.
— Je xxi lui ai administré le baptême et la confirmation. Le 1 er juillet, il fit sa première communion.
Le lendemain il partit pour Dachau par le Train de la Mort. Bien que le baptême ait été administré dans le secret, la chose fut connue et je fus dénoncé aux Allemands. Je fus sévèrement molesté pour avoir commis un tel délit. Avant le départ, je distribuai à ceux qui le désiraient des médailles et des chapelets que l’abbé Rodhain, aumônier des prisons, m’avait fait parvenir. Presque toutes les mains se tendaient vers moi. Sans savoir ce qui attendait les partants, une immense angoisse étreignait tous les cœurs. Les événements ont prouvé que cette immense souffrance morale était, hélas ! justifiée.
Le Front National clandestin de résistance n’arrive pas à se regrouper. Ses membres, dispersés dans les différents blocks, lancent des ordres contradictoires. Certains, gaullistes, ne veulent pas entendre parler de communistes. Certains, communistes, refusent d’établir des contacts avec les gaullistes. Parfois, cependant, des rencontres de Français aussi différents, aussi opposés que Georges Villiers, Édouard Aubert, Joseph Helluy scelleront une action unique et particulièrement efficace.
Le docteur Joseph Helluy, aidé par Maréchal, un instituteur, a pu se procurer un nombre si impressionnant de scies, limes, burins, ciseaux, qu’il décide de confier un lot d’outils à une trentaine d’internés. Ces « responsables » devront monter dans des wagons différents et « imposer » les évasions.
— Un camarade xxii qui restait au camp est venu me trouver me disant : « Ordre de la Résistance. Vous devez prendre contact avec X de Nancy (le docteur Helluy) qui aura une trousse d’outils de poche. Une vingtaine de camarades résistants se grouperont autour de vous pour monter dans le même wagon. Pendant la première nuit du voyage vous devrez scier un panneau et vous échapper. »
— Et xxiii voici que dans ce remue-ménage effroyable je rencontre Georges Villiers. Je ne me souviens plus comment cela s’est passé… ni qui des deux a reconnu l’autre le premier… peu importe d’ailleurs. Mais, par contre, je me rappelle très bien ma réaction instinctive d’hostilité et de méfiance ; ma stupeur aussi… Georges Villiers, là, ça alors ! Lui, cet industriel lyonnais que je connaissais comme un des animateurs de l’organisation syndicale patronale, lui qu’il m’avait été donné de combattre avant-guerre en tant que militant syndicaliste de la C.G.T. (Je crois même que nous avions été « arbitres », lui patronal, moi ouvrier, après 1936 dans le cadre de la procédure d’alors sur l’arbitrage des conflits du travail.)
— Mais là n’était pas l’essentiel pouvant motiver ma réaction… C’est que je savais, nous savions, qu’il avait exercé les fonctions de maire de Lyon… et cela dans le même moment où les résistants de la zone sud se voyaient traqués, pourchassés, arrêtés ; dans le même temps où j’avais été moi-même arrêté à Lyon par la police de Vichy, emprisonné à la prison Saint-Paul, puis enfin condamné, avec d’autres camarades accusés eux aussi d’être des « terroristes », aux travaux forcés par un « tribunal spécial » siégeant au Palais de Justice de Lyon…
Édouard Aubert et Georges Villiers « se racontent » leur « histoire », confrontent « leur résistance ».
— Eh oui xxiv , c’était ainsi : pour un temps les différences de classe comme les griefs allaient s’estomper, disparaître ; nous nous étions expliqués franchement et je ne lui avais pas caché mes sentiments à son égard… Il ne m’est certes pas possible de reconstituer mot à mot cette discussion dramatique. Nous étions allongés côte à côte… Jamais je n’oublierai sa phrase : « Mon pauvre M. Aubert, qui aurait dit qu’un jour nous nous retrouverions ainsi. »
Édouard Aubert et Georges Villiers voyageront dans le même wagon. Ils viennent de le décider. Mais Georges Villiers doit rejoindre le docteur Helluy…
Autour de Claude Lamirault, chef du réseau Jade-Fitzroy, se retrouvent Gabriel Rykner, Pierre Bernard, André Page, Pierre Roux, Mario Nikis :
— Vous voulez des limes, des scies…
Lamirault s’est largement approvisionné auprès du Comité clandestin :
— Qui en veut ? Voilà comment nous agirons…
Le docteur Solladié et le
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