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Le trésor

Le trésor

Titel: Le trésor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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de l’abbé de Talhouet… peut-être enfin l’austère bénédictine de Locmaria qui lui avait donné la vie. À moins que celle qui avait été Jeanne-Marie Goëlo n’éprouvât que du soulagement à savoir enfin entre les main de Dieu l’enfant rebelle qu’elle Lui avait destiné jadis… Et pourtant c’était un inconnu qui reposait à présent sous les aubépines du vieux cimetière, à l’ombre des pierres grises de Notre-Dame du Paradis et c’était pour cet inconnu que le vieux prêtre dirait des messes… Jamais Gilles n’aurait imaginé que le roi irait jusque-là pour le préserver des machinations de son frère.
    — Ainsi donc, dès à présent je ne suis plus personne ? fit-il en rendant l’étroite feuille de papier si curieusement libellée… Me direz-vous quel est ce langage bizarre ?
    — Ce n’est pas un langage mais l’un des « chiffres » du roi. Il se sert de celui-ci, qui était jadis celui du roi Louis XIII avec son ambassadeur à Constantinople, pour ses affaires privées. L’autre, le Grand Chiffre de Louis XIV jadis composé par le génial Antoine Rossignol, lui seul en détient la clef avec quelques rares et très importants serviteurs. Personnellement, je ne l’ai jamais eu en main. Allons, mon ami, ne faites pas cette mine de carême : vous serez un autre pendant quelque temps mais un jour, j’en suis sûr, vous pourrez redevenir le chevalier de Tournemine.
    — Un autre, oui… mais lequel ?
    C’était ce qu’il allait apprendre le jour même car – toujours les coïncidences, – ce même Préville, dont Pierre-Augustin attendait des miracles, apparut sur le coup de onze heures, comme l’on allait passer à table. Retiré depuis quelques mois dans sa belle maison de Senlis, il venait, en toute simplicité, après une séance de comité un peu agitée à la Comédie-Française, demander à dîner à son ami Beaumarchais.
    On ajouta son couvert et, après avoir salué à la ronde, il s’installa joyeusement près de Thérèse qui l’embrassa, et empila incontinent sur son assiette des tartines au fromage couronnées d’œufs brouillés à la crème et des « atriaux », ces crépinettes de porc vigoureusement aromatisées dont on raffolait à Genève. Il protesta gentiment.
    — Vous allez me faire grossir. J’ai beau avoir pris ma retraite, je tiens à rester mince.
    — Bah ! votre femme m’a dit que vous vous livriez aux joies du jardinage. Vous n’avez rien à craindre…
    — Et puis, tu dois avoir faim ! Rien de creusant comme les comités de la chère grande maison. Pour un homme qui souhaite le repos, c’est une drôle d’idée de continuer à fréquenter ce panier de crabes talentueux, dit Beaumarchais.
    Préville haussa les épaules.
    — Tu sais bien que j’y joue toujours de petits rôles, pour rendre service et puis, ils disent que mes conseils leur sont précieux. Je ne peux pas les leur refuser. Et puis, ce sont tout de même mes amis et ils me sont d’autant plus chers qu’ils ne m’en ont pas voulu d’être demeuré fidèlement attaché à notre amitié au moment de la « grande bagarre ». Mais je reconnais qu’aujourd’hui le comité était éprouvant. La grande Sainval était exaspérante. Ses prétentions ne connaissent plus de borne depuis qu’elle joue ta comtesse Almaviva et…
    Lancé à présent, il racontait son histoire sans pour autant perdre un coup de fourchette, mais Gilles, qui ne connaissait pas les gens dont il parlait, cessa de l’écouter préférant le regarder et chercher à comprendre. Ainsi c’était là ce comédien fameux, l’un des plus illustres de l’époque, célèbre à travers toute l’Europe et dont Beaumarchais disait qu’il était une sorte de Protée, capable de prendre à volonté tous les visages, toutes les apparences, hormis, bien sûr, celle d’un enfant nouveau-né. « Et encore, ajoutait en riant le père de Figaro, je ne suis pas certain qu’il ne puisse y parvenir. »
    En ce moment même, il se livrait à un étonnant numéro, imitant tour à tour chacun de ses camarades et passant des envolées superbes de Mlle Sainval à la voix posée de Molé, à l’affectation de Vestris, au rire lourd de Desessarts, heureux visiblement du succès qu’il remportait auprès de ce public réduit de connaisseurs.
    Mais c’était vers le pseudo-secrétaire que revenait le plus souvent son regard et celui-ci avait l’impression que cette étonnante représentation était

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