Le trésor
pénible.
— Je vous en aurais déjà prié, monsieur, si vous aviez bien voulu prendre la peine supplémentaire de m’apprendre votre nom.
— C’est trop juste ! Eh bien, je me nomme François-Charles de Raimond, comte de Modène, gouverneur du palais du Luxembourg… et donc gentilhomme au service de Son Altesse Royale Monsieur, comte de Provence et frère de Sa Majesté le roi.
L’emphase soudaine du ton fit sourire Tournemine. Cet oiseau si superbement paré pensait-il impressionner un garde du roi avec ses titres ronflants ?
— Je sais qui est Monsieur, fit-il avec un rien d’ironie et en se gardant bien d’ajouter quelle opinion peu flatteuse il gardait de l’Altesse Royale en question. Asseyez-vous, comte… et puis apprenez-moi la raison pour laquelle un si haut personnage prend la peine de m’envoyer un émissaire. Car c’est bien ce que vous êtes, n’est-ce pas ?
Tandis que le comte de Modène s’établissait sur sa chaise avec un soupir de soulagement mais en prenant un soin extrême de ne pas froisser son bel habit sur la paille grossière du mobilier carcéral, le chevalier, les yeux soudain rétrécis, l’examinait en détail. Le seul nom de Monsieur avait suffi à le mettre sur ses gardes. Familier du prince, le pompeux gouverneur de sa maison ne pouvait être qu’un ennemi et, avant même qu’il eût énoncé le but de sa visite, le jeune homme devinait qu’il allait lui falloir jouer serré.
— Le titre d’ambassadeur me conviendrait mieux, fit Modène avec une grimace qui pouvait passer pour un sourire, car je n’ai pas seulement un avis à vous donner mais aussi tous pouvoirs pour discuter avec vous des suites que vous verrez à lui donner. Mais asseyez-vous donc, chevalier, nous pourrons causer plus commodément. Et puis vous êtes si grand que vous me donnez le vertige…
— Permettez-moi de n’en rien faire ! Un prisonnier n’a déjà que trop tendance à demeurer assis ou couché.
— Ah ! vous êtes jeune ! soupira Modène. Les maux de l’âge, les affreux rhumatismes ne vous torturent pas encore. Tandis que moi j’en suis envahi. Ainsi…
Peu désireux d’entendre le récit, sûrement fort long, des misères physiques de son visiteur, Gilles jugea prudent d’y couper court aussi poliment que possible.
— En ce cas, dit-il, vous devez avoir grande hâte de retrouver votre logis, votre lit et de ne pas souffrir trop longtemps sur une chaise de prison. Me direz-vous ce qui vous amène ?
Un éclair d’amusement brilla dans les yeux noirs du comte. Un instant, il considéra le chevalier comme s’il venait de découvrir un aspect inattendu de son personnage, sourit puis, doucement, déclara :
— Je suis venu vous faire connaître votre avenir.
— Mon avenir ? Faites-vous profession de dire la bonne aventure ? Êtes-vous sorcier ?
— Sorcier, non. Astrologue, oui. J’étudie les astres, leur course à travers l’infini et surtout leur étrange influence sur le cours capricieux des destinées humaines. Quel jour êtes-vous né, chevalier ?
— Mais… le 26 juillet 1763, jour de la fête de sainte Anne patronne de la Bretagne, répondit le jeune homme légèrement surpris de constater que Modène avait paru prendre sa boutade au sérieux.
— Hum ! Un Lion… du premier décan. Sauriez-vous me dire aussi à quelle heure ?
Gilles haussa les épaules.
— Non, monsieur, je ne saurais vous le dire ! fit-il sèchement.
Qui donc, mon Dieu, se serait étendu avec assez de complaisance sur sa naissance bâtarde pour lui en apprendre l’heure ? Certainement pas une mère qui l’avait pratiquement renié dès son premier vagissement. La vieille Rozenn, sa fidèle nourrice peut-être ?… et encore ! Mais, après tout, de tels détails avaient bien peu d’importance dans la vie d’un homme.
— Cela vous gênera-t-il, ajouta-t-il avec un brin d’insolence, pour me faire connaître mon avenir ainsi que vous l’annonciez il y a un instant ?
— Certainement pas puisqu’il s’agit de l’avenir immédiat. Mais j’avoue que j’aurais aimé en savoir plus sur votre naissance. Vous êtes un personnage intéressant, chevalier, et vous avez très certainement devant vous une longue, une très brillante carrière… dont il serait dommage d’interrompre prématurément le cours.
Puis, changeant brusquement de ton, Modène enchaîna :
— Vous n’ignorez pas pour quelle raison vous vous trouvez actuellement ici,
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