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Le tribunal de l'ombre

Le tribunal de l'ombre

Titel: Le tribunal de l'ombre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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réfugiés les chevaliers qui avaient échappé aux prévôts, baillis et sénéchaux du royaume de France pour s’échiner à reconstituer l’Ordre, là où ils pensaient bénéficier de la bienveillance de leurs nouveaux protecteurs.
     
    En poussant le paradigme jusqu’au bout, cela impliquait que la partie pécuniaire du trésor des hérétiques albigeois et des Templiers avait éclaté au profit de multiples communautés, telles des pièces de monnaie ou des lettres à changer qui passeraient de main en main, un nombre incalculable de fois.
    À la parfin, il convenait de ne pas oublier non plus qu’ils tiraient l’essentiel de leurs bénéfices des terres de leurs commanderies, et que des sommes considérables avaient été investies dans l’embellissement d’icelles et dans l’achat des milliers d’arpents de surfaces cultivables. Or tous leurs biens avaient été dévolus à l’Ordre de l’Hôpital après que la dissolution de l’Ordre du Temple avait été prononcée.
    Si je partais de cette hypothèse, tous ceux qui tenteraient de faire main mise sur icelui feraient chou blanc. L’ignoraient-ils ? Il est vrai que la concupiscence nourrit souventes fois les légendes, entretenant des spéculations aussi insensées que chimériques.
    En revanche, plus j’y avais pensé, plus j’avais acquis la certitude qu’il existait un véritable trésor, un trésor d’autre nature, d’une valeur beaucoup plus considérable : le Livre sacré que six prêtres hérétiques, guidés par Bertrand de Morenci, en février 1244, avaient remis à Pierre-Roger de Mirepoix {53} . Ce n’était, bien sûr, qu’une hypothèse.
     
    À mon retour du Grand Voyage en passant par le duché de Bretagne, j’en saurais plus. Dans six ou sept mois. Si je poursuivais mes investigations d’intelligente manière.
    Si je revenais sain et sauf de mon pèlerinage contre les païens de Lituanie.

    La veille de notre grand départ, mon épouse me prit le bras pour me guider vers sa couche. Elle fredonnait une ritournelle de sa composition :
     
    Il attend de recevoir
    Ce que Mie ne peut donner,
    Faute de n’être charmée
    Par un si noble devoir.
    À l’épée, de toujours caployer
    Pour gloire, de toujours tournoyer,
    Peut-il sa Mie encore aimer ?
    Hélas, elle doute et ne le sait.
     
    Par Dieu, onques n’oublions,
    Dans les bras l’un de l’autre,
    La joie de ce fin’amor,
    Qui fut et sera nôtre.
     
    Elle m’offrit le plus beau cadeau d’adieu dont elle pouvait ce soir-là me gratifier : une tendre et douce étreinte charnelle. Elle ne manqua pas de saveur, bien qu’une trop longue abstinence eût éveillé trop vite une jouissance que je n’avais pas réussi à retarder.
    Nos corps s’étaient unis, mais nos pensées s’étaient égarées vers les rivages lointains de la mer Baltique.

    Le lendemain, le jour de la Saint-Michel, l’avant-veille des calendes d’octobre {54} , Marguerite me remit un petit bissac avec un air ingénu. Il contenait six vessies de porc.
    « Si vous devez soulager votre virilité, messire Bertrand, prenez quelques précautions. Les lingères, les lavandières et toutes les bagasses que vous ne manquerez pas de croiser sur votre route sont parfois colporteuses de bien des souffrances. Je ne souhaiterais pas avoir à vous soigner de ces maux-là. Ni à élever le fruit de vos ribauderies… »
     
    À l’heure des laudes, après avoir fait mes adieux à nos enfants, Jeanne, Hugues, Thibaut, Marie et Geoffroy, à nos gens d’armes, à tous nos serviteurs et servantes, ce ne fut pas sans un fort émeuvement qui me nouait la gorge que je mis le pied à l’étrier et me hissai dans les arçons.
    Mes compains d’armes se tenaient à mes côtés. Le chevalier banneret Foulques de Montfort, le chevalier bachelier Raymond de Carsac, les écuyers Philippe de Castelja, Amould de Ségur, Guy de Vieilcastel, Onfroi de Salignac, Guilbaud de Rouffignac et nos trois valets d’armes.
    Dans le silence de l’aube, une haie d’honneur s’était formée dans la cour du château de Rouffillac. Quelques femmes avaient la larme à l’œil. Ma douce mie, Marguerite, prenait un air faussement enjoué dont je la remerciai d’un sourire en agitant une pièce d’étoffe jaune.
    Guillaume de Lebestourac lui-même, soutenu hardiment par deux béquilles, m’adjura de différer notre départ. Il se sentait en pleine forme et, d’ici deux ou trois jours…
    Soudainement pris d’une envolée lyrique,

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