Le tribunal de l'ombre
cette dernière volonté ? Grande confiance, elle lui accordait, pour qu ’ il accomplisse ce vœu prégnant, et elle ne doutait pas que son cœur très sensible ne puisse saigner à l ’ idée qu ’ elle aurait passé les pieds outre avant qu ’ il n ’ ait accompli son devoir filial.
Un devoir filial vis-à-vis d ’ une mère qui, – et cela ne devait bien évidemment pas motiver sa venue –, serait suivi de moul t belles et extraordinaires révélations qu ’ elle avait à lui faire.
Venant d ’ une mère dont le désir le plus cher était de lui remettre en mains propres des actes passés par devant notaires royaux. Ils feraient assurément de lui le seul héritier du fabuleux trésor dont elle ne savait, à l ’ heure de sa mort, s ’ il s ’ agissait de celui des hérétiques albigeois ou de celui de l ’ Ordre du Temple de Salomon. Ou des deux, selon le fruit des minutieuses investigations auxquelles elle s ’ était livrée, après m ’ avoir arraché d ’ adroite et insidieuse façon les maigres connaissances que j ’ avais pu glaner sur ce sujet ...
Ce message, je n ’ entendais le faire parvenir à son destinataire qu ’ au jour et à l ’ heure où, ayant réuni toutes les preuves de ses forfaits, j ’ aurais décidé que le moment était venu de l ’ attirer dans mon piège. Pour le faire comparaître devant mon tribunal de l ’ Ombre. Car l ’ homme était plus rusé qu ’ un singe, plus retors qu ’ un furet et plus dangereux qu ’ un loup.
D ’ aucuns me croyaient « haut la main » et d ’ humeur chaude. J ’ avais appris la patience au contact de mon épouse Marguerite, et me gardais bien de les contredire.
Tout se jouerait au début du printemps, au retour de pèlerinage pour la Croix teutonique.
Isabeau avait-elle été conduite en le duché de Bretagne par le sire de Castelnaud avant qu ’ il ne baille rançon ? Pour je ne savais quelle raison, j ’ en doutais.
En vérité, pour plusieurs raisons. Je me demandais plutôt si le sire de Castelnaud de Beynac n ’ avait pas fait conduire Isabeau en l ’ une de ces nombreuses abbayes qui s ’ élevaient en notre royaume, et dont les mères abbesses savaient garder le secret de la naissance des damoiselles qui leur étaient confiées.
Obazine ? Chancelade ? Ou à Saint-Cyprien, derechef ? De sorte qu ’ elle resterait toujours à merci. Car rien ne laissait penser qu ’ A rn aud et lui aient entretenu des relations.
L ’ un et l ’ autre convoitaient le trésor des Albigeois pour en déposséder l ’ héritière légitime, ma sœur Isabeau. Un pacte de partage ? Une hypothèse peu plausible. L ’ un et l ’ autre étaient d ’ une extrême avarice et se seraient plus volontiers déchirés pour s ’ accaparer son héritage, qu ’ unis à cette fin.
Si leurs mobiles étaient l ’ appât du gain, il était peu vraisemblable que l ’ un confie l ’ héritière du trésor des hérétiques à l ’ autre. Ils le convoitaient d ’ égale façon. Mais ils ne parviendraient pas à leur fin, quels que soient les moyens employés, tant qu ’ ils ne connaîtraient ni l ’ emplacement ni le mot de passe qui valideraient une éventuelle donation au profit d ’ un tiers.
L ’ un, le sire Gaillard de Castelnaud ne pouvait qu ’ espérer une donation en sa faveur, étant déjà marié, quitte à l ’ extorquer de force. L ’ autre, Arnaud, mon frère de lait (!), pouvait toujours espérer l ’ accaparer par la voie matrimoniale en épousant ma sœur, façon plus subtile s ’ il ne connaissait le mot de passe qui ouvrirait un acte de donation à son profit. Or, sa propre mère, Éléonore de Guirande, n ’ en connaissait qu ’ une partie.
Mais après de longues réflexions au cours de nuits d ’ insomnie, il me semblait plausible que les biens considérables, dont les hérétiques albigeois avaient certainement confié la gestion aux commanderies templières de la comté de Toulouse, avaient disparu aussi mystérieusement que le trésor du Temple.
Les dix-huit nefs templières qui avaient appareillé du port de La Rochelle, quelques jours avant la vague d ’ arrestation du vendredi 13 octobre 1307, n ’ avaient-elles pas chargé à leur bord ce qu ’ il restait du trésor du Temple avant de se séparer et de faire route vers l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre, l’Écosse, et bien sûr, la Prusse orientale ? Autant de contrées où s’étaient
Weitere Kostenlose Bücher