Le Voleur de vent
l’escorte, leur jetant
pierres et bouteilles – vides ! – au visage.
« L’escorte » de la reine fut ainsi
comme dissoute, aspirée en le peuple, submergée de partout. Les militaires
royaux eux-mêmes quittèrent leurs forts et leurs remparts pour accueillir l’amiral
et les siens. Très vite, des rixes violentes opposèrent soldats de la garnison
de Rouen à ceux de la régence.
Maréchal et généraux tournèrent bride tandis
que les soldats de la reine choisirent de ne point insister, reprenant par
petits groupes dispersés la route de Paris.
On fit la fête, buvant
et dansant jusqu’en fin d’après-midi en les cabarets, les places, les rues et
les jardins.
Le Dragon Vert quitta Rouen en la magnifique lumière du soleil couchant qui dorait ses voiles
et ses mâts. De l’amiral au plus jeune des mousses, on savourait la joie de
retrouver la mer loin des ambitions et des complots fomentés par ceux qui sont
sortes d’infirmes et ne vivent que pour le pouvoir.
Sur la dunette, l’amiral tenait la comtesse en
ses bras, lui serrant la taille.
Il murmura :
— Quel rêve étrange nous avons fait…
— Ce n’était point un rêve, monsieur mon
amour !
Et, comme pour le lui mieux prouver, elle lui
donna long, très long baiser…
Épilogue
LES DOUZE DE LA
CONJURATION…
Six des douze de la
conjuration avaient péri de mort violente, pendus – dont un cadavre – sur ordre
de Sully à la fin des aventures de l’amiral de Nissac brièvement contées ici
même.
Les autres ne perdirent rien pour attendre car
ceux qui échappèrent au fer ou au feu connurent l’amertume de la déchéance.
Ainsi un septième, Ravaillac, était mort comme
on sait. Il n’est point nécessaire de revenir sur sa fin atroce mais peut-être
de songer qu’ayant été le plus abusé, il ne fut pas forcément le plus coupable.
Victime crédule des puissants dont il cherchait, comme tous les faibles, la
reconnaissance ; croyant que l’Enfer ici-bas lui ouvrirait les portes d’un
problématique Paradis en l’au-delà, il n’attira jamais la compassion, ni en son
temps, ni en ceux futurs où les hommes qui écrivent l’Histoire n’ont guère de
temps à perdre avec humaine broutille.
Seul le comte de Nissac si secret, si fragile,
si vulnérable à l’abri de son épée et de la froideur apparente de ses yeux gris
songea, en regardant ces quartiers de viande qu’une foule barbare se partageait,
que Ravaillac avait été aussi petit bébé puis enfant aimant follement sa mère
qui le lui rendit et à laquelle fut épargné le spectacle de ce qu’il advint du
petit qu’elle avait porté. Et Nissac songea encore que, bien qu’en état de
folie totale, les deux loups-garous affichaient davantage de dignité et
noblesse devant la mort que ces bourgeois qui se battaient pour plonger leurs
mains en les entrailles d’un homme. Enfin l’amiral, en la définitive solitude
de son âme, se convainquit sans peine qu’un homme cesse d’être un homme dès qu’il
appartient à une foule.
L’ambassadeur d’Espagne
devenu très âgé s’enticha d’une femme plus dure encore qu’il ne l’avait été et,
se trouvant paralysé, cloué en son lit, il la vit un jour se servir d’une
bougie pour mettre le feu à son lit. Il finit ainsi brûlé vif, tel le premier
loup-garou venu…
Concino Concini dont
on dit qu’il fut l’amant de la reine accéda enfin à ce pouvoir qui le fascinait
depuis toujours. Devenu maréchal d’Ancre et maître du royaume des lys, il
révéla sa nature cruelle, son avidité à s’enrichir et son cynisme. Assassiné
sur ordre du jeune Louis XIII qui voulait enfin exercer le pouvoir qui lui
revenait, son cadavre fut déterré le jour même. On traîna son corps en les rues
et le fit rôtir sur le Pont-Neuf avant que d’en manger les parties charnues.
Dépecé comme un vulgaire Ravaillac, le
maréchal eût détesté cela si on l’en avait informé de son vivant.
Son épouse, dixième
de la conjuration, le suivit presque aussitôt en le trépas. En effet, Leonora
Galigaï fut jugée, condamnée, décapitée, brûlée et ses cendres dispersées au
vent…
Madame d’Entragues, marquise
de Verneuil, qui fut la maîtresse d’Henri quatrième et souhaita devenir reine
de France, vit son étoile pâlir dès après la réussite du complot, écartée par
les soins de la reine qui ne lui avait pas pardonné d’avoir volé cet époux qu’elle
aida à tuer. Elle mourut seule et en grande
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