L’élixir du diable

Michelle glissa le pistolet sous sa ceinture, souleva dans ses bras le petit corps d’un mètre de haut.
    — Ben, protesta l’enfant quand un des jouets échappa à ses petits doigts.
    — Il faut qu’on file, trésor, lui dit-elle, le souffle court, une main contre le dos d’Alex, l’autre derrière son crâne, le serrant contre elle.
    Elle traversa la pelouse en direction de la porte menant au garage, ne s’arrêta qu’une fois pour regarder derrière elle avant de l’atteindre, le cœur lui martelant la cage thoracique. Elle vit l’un des hommes surgir dans le patio au moment où elle ouvrait la porte du garage et se jetait à l’intérieur. A tâtons, elle trouva la clé et referma derrière elle.
    — Maman, qu’est-ce que tu fais ?
    La voix d’Alex n’exprimait aucune peur. Pour un enfant de quatre ans, sa mère portait simplement le jeu à un autre niveau. Cette pensée fit naître en Michelle une vague de tendresse et elle répondit :
    — On va faire une balade en voiture. Juste une petite balade, d’accord ?
    Elle ouvrit la portière avant de son 4 × 4, poussa Alex à l’intérieur, grimpa sur le siège du conducteur. Le Wrangler était garé l’arrière tourné vers la porte à bascule, pour l’heure fermée.
    — Baisse-toi, chéri, dit Michelle en dirigeant l’enfant vers le plancher avec un mélange d’urgence et de douceur. Reste là. On fait une partie de cache-cache, d’accord ?
    Le petit garçon la regarda avec une mine hésitante puis sourit.
    — D’accord.
    Au prix d’un gros effort, elle lui rendit son sourire, mit le contact. Le moteur V6 démarra avec un gargouillement rauque.
    — Tu restes baissé, hein ? recommanda Michelle en passant la marche arrière.
    Elle écrasa l’accélérateur, regarda derrière elle et relâcha l’embrayage.
    Le Wrangler bondit en arrière, défonça la porte, roula en tanguant vers la rue dans un claquement de tôle tordue. Au dernier moment, Michelle découvrit une camionnette blanche garée devant la maison et enfonça la pédale de frein. Au moment où la Jeep s’arrêtait dans un crissement de pneus, deux hommes, également en combinaison blanche, surgirent par la porte d’entrée. Michelle passa en marche avant, manœuvra et repartit en trombe, gardant un œil sur le rétroviseur, s’attendant à voir la camionnette se lancer à sa poursuite. Etonnamment, elle n’en fit rien et Michelle la vit rapetisser derrière elle avant de tourner à droite.
    Elle se faufila entre des voitures plus lentes, tourna à gauche, à droite, de nouveau à gauche aux croisements suivants, s’éloignant de chez elle par un itinéraire en zigzag, surveillant toujours d’un œil son rétroviseur, l’esprit assailli de questions sur Tom. Elle ne savait pas dans quel état il était, ni même s’il vivait encore, mais il fallait qu’on vienne à son secours, et vite. Elle prit son portable dans sa poche arrière, composa le 911. Une voix répondit presque aussitôt :
    — Police, j’écoute.
    — Je téléphone pour signaler une fusillade. Des types armés ont pénétré chez nous…
    Elle se rendit compte tout à coup qu’Alex l’observait avec curiosité du plancher du 4 × 4.
    — M’man, t’appelles qui ?
    — On a besoin d’aide, reprit Michelle dans son portable. Envoyez des voitures de patrouille. Et une ambulance.
    Elle donna son adresse au policier du standard et ajouta :
    — Faites vite, je crois que mon ami est blessé.
    — Quel est votre nom, madame ?
    Michelle se demanda si elle devait répondre ou non, regarda Alex, qui continuait à la fixer de ses grands yeux. Elle jugea inutile de fournir plus d’informations pour le moment.
    — Envoyez de l’aide le plus rapidement possible, dit-elle avant de raccrocher.
    Le cœur battant furieusement dans sa poitrine, elle jeta un nouveau coup d’œil dans le rétro, doubla une autre voiture. Toujours pas de camionnette blanche. Au bout de cinq minutes, elle commença à se détendre, aida Alex à s’asseoir sur le siège passager et l’attacha avec la ceinture de sécurité. Elle roula une demi-heure encore avant d’estimer qu’elle avait mis assez de kilomètres entre elle et sa maison et finit par se garer sur le parking d’un grand centre commercial de Lemon Grove.
    Pendant un long moment, elle ne bougea pas, demeura prostrée derrière le volant, pensant à Tom, puis elle se mit à pleurer. Les larmes lui tachèrent les joues. Tournant la tête, elle vit Alex qui