L'empereur des rois
telle que, chaque jour, tout banquier qui arrive à 4 heures sans malheur s’écrie : “En voilà encore un de gagné.” »
Adieu, insouciance, adieu, rêverie. Enfonçons-nous dans le marécage !
Les affaires vont mal parce que la contrebande anglaise sévit et qu’il est impossible d’exporter les productions françaises. L’Europe est pleine de produits venus d’Angleterre et de ses colonies. La faille du blocus se situe au nord.
Il convoque Champagny. Que veulent les Russes ? Que dit notre ambassadeur ? Napoléon a une grimace de mépris. Mais Caulaincourt est devenu le courtisan d’Alexandre. Il est plus russe que français.
— Je sais…
Il montre les rapports des espions que Davout, le commandant en chef en Allemagne, lui envoie.
— … que les douze cents bâtiments que les Anglais ont escortés par vingt vaisseaux de guerre et qu’ils avaient masqués sous pavillons suédois, portugais, espagnol ou américain, ont en partie débarqué leurs marchandises en Russie.
Il frappe du poing.
— La paix ou la guerre sont entre les mains de la Russie.
Elle ne le sait peut-être pas.
— Il est possible qu’elle se donne la guerre sans le désirer, reprend-il. C’est le propre des nations de faire des sottises.
Mais je dois tenir compte de cela. Penser à la guerre .
Alexandre I er crée de nouveaux régiments. Il a massé trois cent mille hommes à la frontière du grand-duché de Varsovie. Il songe même, affirme-t-on, à confier le commandement de l’une de ses armées au général Moreau !
Moreau, que je me suis contenté d’exiler ! Moreau, déjà recuit de jalousie il y a dix ans et qui s’était réfugié aux États-Unis. Et comment pourrais-je avoir confiance en Bernadotte, qui reçoit les envoyés russes, qui ménage son avenir de prince héréditaire de Suède ?
Il donne audience à l’un des aides de camp français de Bernadotte, le chef d’escadron Genty de Saint-Alphonse, un officier dévoué à son maréchal et qu’il ne sert à rien de bousculer.
— Croyez-vous que j’ignore, commence Napoléon, que le maréchal Bernadotte dit à qui veut l’entendre : « Dieu merci, je ne suis plus sous sa patte », et mille autres extravagances que je ne veux pas répéter ?
Bernadotte réclame, pour prix de sa fidélité, la Norvège, qui appartient au Danemark. Et si je la lui concédais, de quoi serais-je sûr ?
Les hommes avides et jaloux trahissent. Bourrienne, mon ancien condisciple de Brienne, mon secrétaire de sept années, le vénal Bourrienne que j’ai chassé à Hambourg, entasse les millions – six, sept, huit ? – en vendant des permis d’importer des marchandises anglaises. Que lui soucie le salut de l’Empire ?
Je ne peux, une nouvelle fois, n’avoir confiance qu’en moi .
Il médite, seul. Il ne peut demander conseil à personne. Qui sait mieux que lui ce qu’il faut à l’Empire ? Ce qui est nécessaire pour l’avenir de la dynastie ? La paix ? On vient de découvrir que le comte Tchernichev, envoyé d’Alexandre I er à Paris, personnage suffisant et mielleux mais séducteur, qui fréquente les salons, se livre à l’espionnage. Les policiers de Savary ont découvert dans les cendres de sa cheminée des pièces à demi consumées qui proviennent de l’état-major du maréchal Berthier, où Tchernichev paie un espion qui lui transmet l’état des forces françaises en Allemagne. Et est-ce pour préparer la paix qu’Alexandre I er taxe les marchandises françaises à l’entrée en Russie de taux prohibitifs ?
Ne vais-je pas me défendre ?
Puis-je laisser les marchandises anglaises envahir l’Europe ?
Napoléon dicte un sénatus-consulte qui annexe à l’Empire français les villes hanséatiques du nord de l’Allemagne et de la Baltique, ainsi que le duché d’Oldenburg, qui appartient au beau-frère d’Alexandre.
Mon bel allié du Nord se cabre ? Qui a, le premier, déchiré l’esprit de Tilsit ? Il faut parler clair à l’empereur de Russie .
« Mes sentiments pour Votre Majesté ne changeront pas, écrit Napoléon à Alexandre, quoique je ne puisse dissimuler que Votre Majesté n’a plus d’amitié pour moi ; déjà notre alliance n’existe plus dans l’opinion de l’Angleterre et de l’Europe : fût-elle aussi entière qu’elle l’est dans le coeur de Votre Majesté qu’elle l’est dans le mien, cette opinion générale n’en serait pas moins un grand mal. »
Alexandre
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