L'empereur des rois
représentations théâtrales qui sont données dans les petits appartements, il la voit somnoler, le corps lourd.
Il est ému. C’est la première fois qu’il observe une femme grosse de lui.
Le mardi 19 mars, vers 20 heures, il attend avec la cour, dans la salle de spectacle des Tuileries. Il a chaud. Il s’approche du grand-duc de Würzburg et du prince Eugène, qui viennent d’arriver à Paris pour être les témoins de la naissance.
Il s’impatiente, quand tout à coup la duchesse de Montebello, veuve du maréchal Lannes, dame d’honneur de Marie-Louise, apparaît. Il ne l’aime pas. Il l’a nommée en souvenir de Lannes, et il a chaque jour découvert qu’elle tente de semer la discorde autour de Marie-Louise, qu’elle est une femme avide, jalouse, hostile. Mais Marie-Louise s’est entichée d’elle.
Il entend Mme de Montebello annoncer avec solennité que Marie-Louise a ses premières douleurs.
Il ordonne aux hommes présents de revêtir leurs uniformes. Il faut que cette naissance se déroule conformément à l’étiquette qu’il a prévue. Bientôt, les salons sont remplis par plus de deux cents personnes.
Il entre dans la chambre envahie par les six médecins. Il n’a jamais éprouvé cela, cette tendresse pour une femme qui souffre de la vie qu’elle porte. Il lui prend le bras, la soutient, marche à petits pas avec elle. Il la sent se calmer. Il l’aide à se coucher, à s’endormir.
Il traverse les salons où les dignitaires somnolent, ordonne qu’on serve à souper. Il a chaud. Il prend un bain. Il voudrait agir, et cette impuissance à laquelle il est réduit l’irrite. Il dicte toute la nuit.
À 8 heures, alors que le jour est déjà clair, le docteur Dubois se précipite, éperdu, pâle.
Il est tout à coup glacé.
— Eh bien, est-ce qu’elle est morte ? lance-t-il. Si elle est morte, on l’enterrera.
Il n’éprouve rien. Il est un bloc de pierre. Il a l’habitude de l’imprévisible et de la mort.
Dubois balbutie. L’enfant se présente mal. On a envoyé chercher Corvisart. L’Empereur peut-il descendre auprès de l’Impératrice ?
— Pourquoi voulez-vous que je descende ? Y a-t-il du danger ?
Il dévisage Dubois, qui semble avoir perdu tout contrôle de lui-même. Dubois murmure qu’il faudrait utiliser les fers, qu’il a déjà délivré des femmes dont les enfants se présentaient ainsi.
— Eh bien, comment avez-vous fait ? Je n’y étais pas ; procédez dans celui-ci comme dans les autres ; prenez votre courage à deux mains.
Il tape sur l’épaule de Dubois, le pousse hors de son cabinet de travail.
— Et supposez que vous n’accouchez pas l’Impératrice, mais une bourgeoise de la rue Saint-Denis.
Avant d’entrer dans la chambre de l’Impératrice, Dubois s’arrête.
— Puisque Votre Majesté le permet, je vais le faire, dit-il.
Le médecin hésite, puis murmure qu’il faudra peut-être choisir l’un ou l’autre.
— La mère, c’est son droit, répond Napoléon.
Ainsi peut-être n’aura-t-il pas ce fils qu’il a tant espéré. Il saisit la main de Marie-Louise. Elle crie, se tord. Il voit approcher les docteurs Corvisart, Yvan, Bourdier. Elle hurle pendant que Dubois prépare les fers.
Il ne veut pas rester ainsi, spectateur impuissant.
Il sent la sueur qui coule sur son front, dans son cou. Il serre les poings. Il a dans la bouche un goût âcre. Il voudrait hurler de rage.
Il s’enferme dans le cabinet de toilette. Il entend les hurlements de Marie-Louise. La porte s’ouvre. Il essaie de lire sur le visage du docteur Yvan. Le médecin murmure que l’Impératrice est délivrée.
Il voit sur le tapis de la chambre le corps de l’enfant qui gît, inerte. Mort.
Il saisit la main de Marie-Louise, l’embrasse. Il ne regarde plus. C’est ainsi.
Il n’aura pas de fils.
Il reste immobile en caressant le visage de Marie-Louise. Il a les yeux fixes.
Tout à coup, ce vagissement.
Il se redresse.
L’enfant est enveloppé de linges chauds sur les genoux de Mme de Montesquiou, qui continue de le frictionner, puis lui introduit dans la bouche quelques gouttes d’eau-de-vie.
L’enfant crie à nouveau.
Napoléon le prend, le soulève. C’est comme le soleil qui surgit un matin de victoire.
Il a un fils.
Il est 9 heures du matin, ce mercredi 20 mars 1811.
Il entend les coups de canon puis les cris qui montent de la place du Carrousel.
Il ne peut parler. Il signe l’acte de naissance
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