L'empereur des rois
compendra-t-il ? Saura-t-il retenir les chevaux de la guerre ?
« Moi, reprend Napoléon, je suis le même pour elle, mais je suis frappé de l’évidence de ces faits et de la pensée que Votre Majesté est toute disposée, aussitôt que les circonstances le voudront, à s’arranger avec l’Angleterre, ce qui est la même chose que d’allumer la guerre entre les deux Empires. »
Il paraphe la lettre, puis, d’un revers de la main, balaie les dépêches que lui envoie Caulaincourt.
— Cet homme n’a pas d’esprit, il ne sait pas écrire, il est un excellent chef d’écurie, voilà tout ! lance-t-il.
Qu’on le rappelle en France, puisqu’il ne veut plus et ne peut plus assumer sa tâche, et qu’on nomme à sa place le général Lauriston, mon aide de camp à Marengo !
Mais que valent donc les hommes qui m’entourent ? Même un conseiller d’État comme Joseph-Marie Portalis, le propre fils de l’ancien ministre des Cultes, s’est fait le complice d’une manoeuvre du pape contre moi afin de remettre en cause l’autorité de l’archevêque de Paris, Maury, que j’ai nommé .
Le pape et quelques ecclésiastiques complotent, comme cet abbé Astros, qui portait, cachés dans son chapeau, les messages de Pie VII contre l’archevêque Maury ! Qu’on enferme Astros au château de Vincennes ! Qu’on surveille ce pape qui, à « la plus horrible conduite, joint la plus grande hypocrisie ». Qu’on renforce les troupes qui le gardent à Savone.
Pourquoi ces critiques contre moi ? N’ai-je pas rétabli la religion ? Ai-je provoqué un schisme, comme l’ont fait les Anglais ou les Russes ?
Napoléon est debout devant la croisée de son cabinet de travail. Il tourne le dos à Cambacérès et à Savary. Celui-ci lui a apporté le discours que Chateaubriand a l’intention de prononcer à l’Académie française, où il vient d’être élu à la place du régicide Chénier. Ce discours rouvre les plaies !
— Je me suis entouré de tous les partis, commence Napoléon, j’ai mis auprès de ma personne jusqu’à des émigrés, des soldats de l’armée de Condé…
Il va vers Cambacérès, lui montre le texte du discours de Chateaubriand.
— Je dirais à l’auteur, s’il était devant moi : Vous n’êtes pas de ce pays-ci, monsieur. Vos admirations, vos voeux sont ailleurs. Vous ne comprenez ni mes intentions ni mes actes.
Il lève les bras, retourne vers la croisée.
— Eh bien, si vous êtes si mal à l’aise en France, sortez de France, sortez, monsieur, car nous ne nous entendrons pas, et c’est moi qui suis le maître ici. Vous n’appréciez pas mon oeuvre et vous la gâteriez si je vous laissais faire. Sortez, monsieur, passez la frontière et laissez la France en paix et en union, sous un pouvoir dont elle a tant besoin.
Ce pouvoir, c’est lui qui le tient entre ses mains. Il s’immobilise devant la carte qu’il a fait dresser et qui représente les nouvelles frontières de l’Empire : cent trente départements, de Hambourg à l’Adriatique, d’Amsterdam à Rome. C’est lui qui règne sur les quarante-quatre millions d’habitants.
Voilà ce dont mon fils héritera, et peut-être plus encore, puisqu’il sera roi de Rome et qu’un jour il pourra gouverner la péninsule, quand le royaume d’Italie dont je suis le souverain lui reviendra et qu’il pourra peut-être annexer le royaume de Naples .
Et qui sait, pourquoi pas, il étendra son empire plus loin encore, sur la Confédération du Rhin, et il aura pour allié le grand-duché de Varsovie, dont peut-être, un jour, un autre de mes fils sera le souverain .
Il pense souvent à Alexandre Walewski.
Il se glisse dans la maison de la rue de la Victoire en compagnie de Duroc. Il a voulu que Marie Walewska soit présentée à la cour, à Marie-Louise même. Et il a aimé, fût-ce pour lui seul et quelques personnes dans le secret, que ses vies soient ainsi rassemblées.
Mais Marie-Louise doit ignorer tout de cela. Et comment la choquer, alors qu’elle porte mon enfant ?
Elle veut qu’à chaque instant il soit présent. Et il accepte.
Le temps de ces premiers mois de l’année 1811 est froid et pluvieux. Il ne quitte presque plus les Tuileries. Il aime céder à ses caprices, la surprendre par des présents, des parures et des boucles. Il la sent craintive devant l’accouchement. Il la rassure, l’entoure souvent de ses bras, malgré l’étiquette.
Le soir, lors des
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