L'empereur des rois
d’une voix tranchante, il commence.
« Vous devez vous souvenir des circonstances où, sous mes ordres, vous avez fait la guerre dans de grandes villes. On ne s’engage point dans les rues. On occupe les maisons des têtes de rues, et on établit de bonnes batteries… Il faut rendre les généraux responsables des hommes isolés… Point de petits paquets ; qu’on ne fasse marcher que par colonnes de cinq cents hommes. Dans le pays ou village qui pourrait s’insurger ou qui aura maltraité des soldats et des courriers, y faire un grand exemple. S’il y a un mouvement à Madrid, vous le réprimerez à coups de canon, et vous en ferez une sévère justice… »
Il va vers la porte. Il lance une dernière phrase :
« Quand je jugerai le moment arrivé, j’arriverai à Madrid comme une bombe. »
Le soir de ce lundi 4 avril, il entre dans Bordeaux.
La ville est déserte. Devant la préfecture, l’officier qui commande le poste de garde se précipite, explique qu’on attendait l’Empereur ce matin. Les troupes ont regagné leurs quartiers.
Napoléon regarde à peine l’officier puis le préfet, se fait conduire à sa chambre. Et, sans tourner la tête, lance :
— Revue demain au Champ-de-Mars de la Garde, de la cavalerie, visite du port.
Il a la certitude que, s’il pouvait tout accomplir lui-même aussi vite qu’il pense et veut, alors il aurait déjà organisé le monde entier. Mais il y a les autres souverains, les préfets, les soldats, les ennemis. Et, pour les rendre efficaces ou les réduire, il faut que personnellement il les voie, les pousse en avant, ou bien qu’il les soumette.
Il est le coeur de son Empire. Le principe qui tient rassemblé tout ce qu’il a conquis, bâti.
Voilà pourquoi il veut un fils, pour le placer près de lui afin que, le jour venu, la succession soit naturelle, indiscutable.
Un fils, cela signifie divorce, cela veut dire rejeter Joséphine.
Il la voit descendre de voiture dans la cour du palais de la préfecture, alors qu’il fait manoeuvrer les soldats du 108 e régiment de ligne. C’est son travail d’Empereur qui a besoin de troupes aguerries et fidèles. Il doit être là, à leur tête, même pour l’exercice. Et il aime ce mouvement des hommes en ligne, la perfection mécanique de leurs gestes et de leurs pas. Il aime lancer des ordres, le corps tendu sur les étriers. C’est cela, sa vie, depuis toujours.
Joséphine s’est immobilisée. Elle est vêtue de blanc. Il est ému par cette silhouette qui, enveloppée par les voiles, reste juvénile et élégante. C’est comme si le passé et ses émotions resurgissaient.
Il va vers elle, l’accueille avec cérémonie. Elle s’incline, souriante. Ils sont deux vieux complices.
Le soleil est léger. Une brise marine souffle sur la Gironde. Le mardi 12 avril, avec Joséphine, Napoléon descend le fleuve depuis le quai du Chapeau-Rouge jusqu’à l’entrepôt des grains.
Il a pris la main de Joséphine. Le printemps incite à la tendresse. Tout serait simple s’il n’y avait les exigences de la politique et la force du destin.
Il regarde Joséphine. Lorsque le moment de la séparation viendra, car il viendra, il faudra qu’il la protège. Et pour l’instant, puisque le moment n’est pas venu, il faut qu’il la préserve, qu’il lui donne le plaisir des jours, dans une sorte d’insouciance.
Elle se prête à ce jeu. Elle chuchote des confidences. Elle lui rappelle des moments intimes.
Il doit la quitter pour se rendre à Bayonne, mais dès qu’il arrive il lui écrit.
« Mon amie, je donne l’ordre qu’il soit fait un supplément de 20 000 francs par mois à ta cassette, pendant ton voyage, à compter du 1 er avril.
« Je suis horriblement logé. Je vais dans une heure changer, et me mettre à une demi-lieue, dans une bastide. L’infant Don Charles et cinq ou six grands d’Espagne sont ici. Le prince des Asturies est à vingt lieues. Le roi Charles et la reine arrivent. Je ne sais où je logerai tout ce monde-là. Tout est encore à l’auberge. Mes troupes se portent bien en Espagne.
« J’ai été un moment à comprendre tes gentillesses ; j’ai ri de tes souvenirs. Vous autres femmes, vous avez de la mémoire.
« Ma santé est bonne, et je t’aime de bien bonne amitié. Je désire que tu fasses des amitiés à tout le monde à Bordeaux ; mes occupations ne m’ont permis d’en faire à personne.
« Napoléon »
Les cloches sonnent à
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