L'empereur des rois
Bayonne lorsqu’il sort de la ville pour atteindre le château de Marracq. Il parcourt le vaste parc à cheval, distingue une tourelle, qui sert de colombier, à l’extrémité de la muraille qui ferme le parc. À quelques centaines de mètres en contrebas coule la Nive. Il décide de s’installer là. La demeure est vaste. D’autres châteaux situés à peu de distance peuvent accueillir les membres de la cour. Il veut qu’ils le rejoignent dans quelques jours. Il aime avoir son monde autour de lui. Et le parc est assez vaste pour y faire manoeuvrer des troupes.
Ici il recevra les Bourbons d’Espagne.
Le mercredi 20 avril, voici Ferdinand, prince des Asturies, qui se croit roi d’Espagne !
Napoléon l’observe en silence. Il l’accompagne en haut de l’escalier, l’invite à dîner, tente de le faire parler. Le prince des Asturies a les yeux et le visage ronds. Il émane de son corps une impression de veulerie.
« Le roi de Prusse est un héros en comparaison du prince des Asturies ! s’exclame Napoléon. Il ne m’a pas encore dit un mot ; il est indifférent à tout, très matériel, il mange quatre fois par jour et n’a idée de rien… »
Peu après arrivent le roi Charles IV, la reine Marie-Louise et son favori, Manuel Godoy.
Est-ce cela, une dynastie issue des Bourbons ?
« Le roi Charles est un brave homme, il a l’air d’un patriarche franc et bon. La reine a son coeur et son histoire sur sa physionomie ; c’est vous en dire assez, confie Napoléon à Talleyrand. Cela passe tout ce qu’il est permis d’imaginer… Le prince de la Paix, Godoy, a l’air d’un taureau… Il a été traité avec une barbarie sans exemple, un mois entre la vie et la mort, toujours menacé de périr. Diriez-vous que dans cet intervalle il n’a pas changé de chemise et qu’il avait une barbe de sept pouces… »
Il éprouve pour ces Bourbons de la pitié mêlée de mépris et de dégoût.
Ces gens-là ne méritent plus de régner. C’est justice de les chasser du trône. Et c’est l’intérêt de ma dynastie, de l’Europe et de l’Espagne. Quant à Ferdinand VII, qui se veut roi, celui-là, c’est l’ennemi .
« Le prince des Asturies est très bête, très méchant, très ennemi de la France, explique Napoléon à Talleyrand. J’ai fait arrêter ses courriers, sur lesquels on a trouvé des lettres pleines de fiel et de haine contre les Français, qu’il appelle à plusieurs reprises : ces maudits Français. Vous sentirez bien qu’avec mon habitude de manier les hommes, son expérience de vingt-quatre ans n’a pu m’en imposer ; et cela est si évident pour moi qu’il faudrait une longue guerre pour m’amener à le reconnaître pour roi d’Espagne. »
Il les regarde se chamailler. Le père reprochant au fils de lui avoir volé la couronne, le fils répondant avec insolence, la mère emportée par la colère, insultant son fils, défendant son amant, et celui-ci demeurant silencieux, épuisé.
Ils sont laids, ils sont lâches. Charles IV pleure comme un enfant. Ferdinand mange avec voracité .
Ils attendent de moi que je choisisse entre eux .
J’ai choisi ce qu’ils n’imaginent même pas. Le plan est arrêté. Il faudra l’exécuter, le leur faire accepter. Il y aura quelques cris, quelques larmes. Mais ces gens-là ne sont plus rien .
Le 2 mai, il dicte une lettre pour Murat. Le grand-duc de Berg doit lui aussi être averti.
« Je suis content du roi Charles et de la reine, écrit Napoléon. Je leur destine Compiège.
« Je destine le roi de Naples à régner à Madrid. Je veux vous donner le royaume de Naples ou du Portugal. Répondez-moi sur-le-champ ce que vous en pensez, car il faut que cela soit fait dans un jour. »
Joséphine arrive au château gaie, heureuse. Hortense vient d’accoucher d’un fils, le 20 avril, qu’elle a prénommé Charles-Louis-Napoléon 1 .
Napoléon l’entraîne. Il la trouve embellie. Ils descendent vers la Nive. Il fait chaud, il la pousse dans la rivière. Ils s’aspergent, prennent une barque, se dirigent vers le château de Lauga, où Caroline Murat vient de s’installer.
Il faudra qu’elle accepte de ne plus rêver à l’Espagne, mais à Naples, un beau royaume. Il rit. Il a écrit à Joseph que « l’Espagne n’est pas ce qu’est le royaume de Naples… À Madrid, vous êtes en France. Naples est au bout du monde. Je désire donc qu’immédiatement après avoir reçu cette lettre vous
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